Dès ses premiers instants, La Fée renoue avec la beauté plastique et la magie poétique de L’Iceberg et de Rumba. Cette agréable sensation de retrouver de vieux amis ne s’explique pas uniquement par la permanence des personnages et des séquences dansées ou par le recours à des effets spéciaux bricolés empruntés à Méliès. Ce sentiment si délicieux de familiarité naît d’abord d’une esthétique singulière et d’un imaginaire clownesque inimitable qui ont fait la marque de fabrique du trio Abel-Gordon-Romy. Le corps des acteurs reste aujourd’hui comme hier le coeur et l’âme de chaque séquence : la quasi-absence de dialogue tout d’abord concentre l’intérêt sur les mouvements des corps ; le minimalisme des décors, ensuite, laisse le champ libre aux acteurs pour se mouvoir ; le parti-pris récurrent du plan fixe, enfin, vient sublimer les performances physiques d’Abel et Gordon. Ce cinéma, à l’évidence pétri par l’imaginaire visuel et le passé commun de scène des deux artistes, exhibe les maladresses et l’inadaptation au monde des personnages et, à travers eux, les déboires du simple quidam dans sa quête quotidienne du bonheur.
L’ancrage du film dans une géographie précise et une temporalité contemporaine constitue une évolution majeure par rapport à L’Iceberg et Rumba qui avaient pour toile de fond un cadre rural chamarré, à l’écart des temps modernes. En ce sens, bien que conte de fée (avec son château métaphorique, son prince, ses voeux, et son cortège de topoï…), le film, qui se déroule au Havre, semble se prémunir contre le risque qui le menace en premier lieu, celui de n’être qu’une simple bleuette, vintage au mieux, ringarde au pire.
Chassez le passé, il revient au galop : La Fée lorgne souvent vers Jacques Tati, Buster Keaton, et même Charlie Chaplin. L’on pense également à Jacques Demy pour le talent avec lequel un ville de province se trouve ici ré-enchantée par le cinéma. Ces références cinématographiques écrasantes soulignent ainsi la belle ambition des réalisateurs tout autant que les limites de leur projet.
La faiblesse du cinéma de Dominique Abel et Fiona Gordon perdure dans leur incapacité à conjuguer leurs numéros clownesques avec les données fondamentales du septième art, lequel repose sur des histoires, des situations et des psychologies appelées à évoluer et à se développer. Il manque à cette Fée un scénario bien ficelé, ou tout au moins un fil d’Ariane. L’attention extrême portée à la réussite intrinsèque de chaque numéro n’a d’égal que l’absence criante d’une construction d’ensemble. La Fée n’échappe donc pas à cette impression de film à sketches qui plombait déjà L’Iceberg et Rumba. Juxtaposant des scènes inégales, le film peine à tenir en haleine sur toute sa durée. Et, ce qui eût été un formidable moyen métrage se trouve étiré en un long métrage sympathique mais un tantinet bancal.
Impossible pour autant de balayer d’un simple revers de main ce film inabouti : le trio Abel-Gordon-Romy possède un univers attachant et singulier sans équivalent dans le panorama du cinéma mondial actuel. Et, si cette Fée laisse au spectateur un sentiment d’inachevé, elle offre, dans ses meilleurs moments, un avant-goût du grand film qui pourrait tôt ou tard naître de ce trio enchanteur.