Un roller-coaster sans secousses ; une intrigue, un mystère qui ne fait que passer.
Le propre du bon critique de cinéma devrait être de ne jamais détester d’œuvre audiovisuelle en avance, par le seul fait de ses principes. Parfois, on se félicite de s’être donné cette marge. D’autres fois, c’est tant pis. Ici, ce sera tant pis.
Cela n’est pas dire qu’on ne peut pas avoir d’idées reçues, sans quoi toute théorisation de l’auteur, même positive, serait impossible. Cela n’est pas dire non plus qu’on ne peut pas avoir de préférences – celles-ci sont les excroissances inévitables d’une bonne culture générale, nécessaire à l’expression d’avis informés. C’est, tout simplement, admettre qu’il n’existe aucun film ni aucune série qui soit ratée avant sa réalisation. Qu’il n’existe pas d’idées dont on ne peut rien tirer, si ce n’est d’artistique, au moins, de divertissant, au cinéma. Surtout quand on dispose d’une bonne distribution (entre autres, Alex Lutz). Surtout quand les deux comédiennes principales sont unies par un lien qui devrait les désinhiber (les sœurs Alexandra et Audrey Lamy). Surtout quand le récit se déroule dans un monde intéressant (celui des forains, où est, par ailleurs, né le cinéma), et quand le réalisateur (Nikola Lange) apprécie les couleurs pétantes.
Il y a un plaisir certain à assister au travail d’un artisan de l’entertainment. Il y a une vraie curiosité à le voir tenter de s’en sortir dans un jeu d’équilibre entre la montée d’une tension et la chute qui la suit. Ce jeu d’équilibre, c’est plus ou moins le même entre la comédie, le film d’épouvante et, par ailleurs, l’adrénaline dégagée par un bon vieux manège de fête foraine. Dans ces trois disciplines, pour que l’expérience soit réussie, il y a deux nécessités absolues : celle du timing et celle du showmanship. Sans l’une ou l’autre, tout devient saccadé, ou flottant, mou. En tout cas, désagréable. Un drame pourra s’en sortir avec des longueurs : une comédie ou un slasher n’y survivra pas. Et une bonne attraction doit avoir une précision et une expertise de sa propre vitesse, de ses distances et de ses hauteurs, pour impressionner. Killer Coaster, la dernière série de Prime Video, n’impressionnera pas.
Sandrine Laplace (Alexandra, l’aînée Lamy, donc) est une auxiliaire de police chroniquement bonne à rien mais débordante de zèle et de bonne volonté. Elle se rêve tout haut héroïne de polar, alors qu’elle prend son poste à Palavas-les-Flots. Un meurtre mystérieux plus tard, et la voilà exaucée. Et puisque son supérieur hiérarchique (Lutz), n’est pas réactif, elle mènera l’enquête elle-même, dans une mission d’infiltration où elle se fera passer pour la cousine d’Ivanne (Audrey, la cadette), propriétaire du train-fantôme où a eu lieu ce crime sordide. Si le sang coule à nouveau, le spectateur se dira peut-être que le coupable a un lien avec le surnaturel. Ivanne, elle, est plus pragmatique. Elle se pense victime d’un complot des Rimenez, ennemis jurés de sa famille de forains. La situation avec ceux-ci est encore plus tendue qu’à l’accoutumée : la coupe du monde (On est en 1998) fais concurrence à la fréquentation de la fête. Enfin, Carmen (Chloé Jouannet, nepo baby d’Alexandra), la fille Rimenez, traverse une idylle à la Roméo & Juliette, pleine de turbulences, avec un saisonnier d’Ivanne.
Une seule originalité : Une caméra dynamique, à la Leigh Whannell, trop peu utilisée.
Quels sont les principaux écueils de Killer Coaster ? En premier lieu, pour une « montagne russe mortelle », la série manque cruellement de hauts et de bas. Tout y avance de manière laborieuse, écrite. Tout y a un rythme de série de la chaîne CW : il se passe beaucoup de choses, mais parfois, les péripéties semblent arriver pour la simple nécessité de mettre une engueulade ou du comique lourdingue à l’écran. Il se déroule des évènements, mais aucun n’attire plus l’attention que les autres, et les scènes les plus grasses nivellent les autres par le bas. Alexandra Lamy est peut-être talentueuse en fonctionnaire extrêmement volontaire et coincée : on ne le saura pas, la réalisation fragmente tout. Elle sépare, dans des coupes malvenues, le noyau d’une blague de sa chute. La thématique du policier en mal d’autorité est très explorée, dans la comédie (y compris dans Sentinelle, de la même plateforme et sorti la semaine dernière). Mais quand un 21 Jump Street nous montre un agent de police être maladroit et inélégant dans une course-poursuite, il nous le montre avec des plans plutôt longs et assez larges. On comprends la spatialité de la scène. Ici, on aura une scène très coupée qui nous propose un plan rapproché de Sandrine, qui va s’interrompre pour s’excuser auprès du conducteur de la voiture sur laquelle elle a sauté. On est donc laissés avec l’impression que Lamy n’a pas réalisé la petite cascade que nécessitait ce ressort comique.
En second lieu, Killer Coaster n’assume pas l’esthétique qu’elle reprend et ses règles. À la limite, visuellement, c’est criard, et ça peut faire la blague. Mais sur le plan audio, on peut reprocher à l’équipe créative son manque d’ampleur. L’ambiance musicale de 1998 ? Nada, à l’exception d’un passage éclair du tube Tu m’oublieras (et encore, c’est anachronique : la version de Larusso est sortie au moins trois mois après la finale de la coupe). Le paysage sonore propre aux fêtes foraines ? Dans une séquence, son frère reproche à Carmen de ne pas encore avoir développé sa voix d’animatrice (« Zépartionestchaudscesoir ! »). On pourrait dire la même chose d’Audrey Lamy, qu’on aura connu plus confrontative, plus en force. Il lui manque quelque chose, pour faire de son personnage une véritable foraine âpre et rugueuse, qui gouverne sur son monde avec une voix de fumeuse. Le look est là, mais le costume est trop propre, trop neuf, pas assez habité. La série aurait gagné à nous proposer une mémorable galerie de visages surprenants, à faire des personnages secondaires une vraie réserve de freaks dans la lignée de ce qu’ont toujours proposé les œuvres sur les fêtes foraines. Killer Coaster est une production qui est avare en gueules, donc. On ne sera pas rassasiés par un seul caméo de Dominique Pinon, abonné aux films de Caro et Jeunet.
Concluons. Si Nikola Lange a du talent, c’est dans l’étalonnage de ses plans et autres éléments qui concernent l’habillage. On serait tentés, dans ce cas, de l’encourager à adapter des bandes-dessinées franco-belges : on se dit qu’il pourrait restituer fidèlement les bigarres de ces œuvres, et profiter d’un story-boarding expert et expressif prémâché, lequel lui permettrait de combler ses lacunes en timing comique et en composition spatiale de scènes en mouvement. S’il persiste à coscénariser lui-même ses productions néons, il risque de continuer à signer des œuvres qui souffrent de la comparaison avec des courts-métrages comme Son Altesse Protocole (Aurélie Reinhorn), aussi sur le thème du parc d’attraction.
Surtout, il risque de continuer à mettre en scène des récits qui font penser à la tentative Un petit boulot (Pascal Chaumeil, avec le même Alex Lutz), mais sans en reprendre les sympathiques prétentions Fargo-ïdes. Et il risque de graviter inévitablement vers des créations qui font très « Internet », dans le sens moins digne, encore plus que les apparitions d’Adrien Ménielle et de Bertrand Usclat ne le laissent penser, et encore d’avantage qu’en souffrait Le jugement dernier (François Descraques, dans la série Dark Stories, avec le même Dominique Pinon).