Mer argentée, ciel azuré, terre blanche aux falaises escarpées, la Catalane est le reflet d’une Espagne atypique. Dans ce paysage idyllique, en plein été caniculaire, David et Marc, faux frères jumeaux, parcourent les sentiers non battus, sur les traces de Ramon Barnils, un journaliste disparu. Au cours de ce voyage initiatique, ils expérimentent tous deux des sentiments insoupçonnés, au gré de rencontres impromptues ; prélude vers un paradis perdu.
Jours d’août. Titre temporel d’un road-movie en quête d’un temps insaisissable. Le réalisateur catalan, Marc Recha, poursuit ainsi deux chemins opposés : une fuite en avant du présent, à travers une invitation au voyage en terre catalane ; et un retour en arrière mélancolique, telle une plongée vers un passé révolu. Par ce mouvement à contresens, le réalisateur crée un sentiment ambivalent, frustrant, sur le temps, qui se meurt dès lors qu’on veut l’éterniser.
Obsédé par l’ombre du journaliste Ramon Barnils, qui a réellement vécu (1940-2001), le cinéaste catalan lui rend hommage dans ces Jours d’août intemporels. Journaliste du CNT Solidaritat Obrera, ce fumeur militant, ardent défenseur des valeurs oubliées, qui osait encore proférer l’utopie perdue de la République, à une époque muselée par le franquisme, est devenu l’icône du réalisateur. Les légendes, que ce fin connaisseur de littérature comptait, ont fait sa renommée dans tout le pays. Dédicace à cet homme disparu prématurément, ce road-movie nostalgique revient sur ses pas, en parcourant les vestiges de cette époque évanouie.
La caméra tente alors de saisir cette ineffabilité du temps qui s’efface, par l’alternance de plans séquentiels, de photos d’aujourd’hui et d’hier, de couleurs contrastées et sépia. Du passé au présent, de la réalité à la fiction, les pistes sont brouillées, pour mieux nouer l’intrigue ; celle d’un poisson-chat introduit en 1974 par un Allemand dans un cours d’eau espagnol, depuis très recherché. La légende, prétexte à la narration, permet au cinéaste de laisser libre cours à son imagination. Il déroule le fil de son inspiration, flânant entre documentaire inspiré d’archives, d’interviews, de traces épistolaires et fiction surréaliste, porte entrouverte sur l’imaginaire. On se laisse alors embarquer dans cette intrigue dont on ne connaît pas les clefs, séduits pas les images, arides. Puis, on s’interroge, confrontés au récit obsessionnel de Marc Recha, nourri de sa biographie, qui n’est rien d’autre qu’une projection en miroir de celle d’un autre, de nous. Telle une invitation à l’introspection, ce road-movie intimiste prend des allures de contes psychanalytiques. Subrepticement, le réalisateur nous invite à une quête de soi. Que restera-t-il de nous après ? Autant le découvrir dès à présent.
Loin du folklore du cinéma hispanique, Marc Recha livre une lecture radicale du septième art. Dépouillée, son œuvre est à l’image des must d’un cinéma d’art et essai exigeant, voire parfois trop léché. Et pour s’inscrire au plus près de cette recherche de spontanéité, le cinéaste se défait de tout artefact visuel, sonore ou d’interprétation. C’est d’ailleurs, le premier film où le réalisateur catalan passe devant la caméra. Marc Recha campe ainsi le faux frère jumeau de son vrai frère David Recha. Et ils livrent, à l’unisson, une interprétation touchante parce que retenue. Les gestes sont mesurés, les mots sous pesés et les silences observés. Derrière la caméra, Marc Recha saisit les couleurs brûlées en captant par arrêts sur images des instants volés. Ces plans photo laissent en suspend notre réflexion. On s’arrête ici et là, alors que la musique continue à dérouler le fil de l’interprétation. Par bribes, la voix off de la narratrice, leur petite sœur, nous met en route sur la voie de l’intériorité de ses frères. Elle les conte comme on aimerait parfois que l’autre nous comprenne sans mots dire. Ce contrepoint de vue omniscient, troisième personne oblige, dévoile l’intimité féminine de ses caractères masculins en proie à eux-mêmes.
Présenté au 59ème Festival de Locarno, Jours d’août a été acclamé par une critique helvétique enthousiaste. C’est peut-être l’exception culturelle prétendue française qui nous donne un goût d’inachevé, mais on reste néanmoins un peu sur notre faim, suite à une fin en queue-de-poisson.
Il y a donc une vérité rare dans ce film, presque dérangeante. En marge d’un cinéma espagnol trop souvent cantonné aux mélodrames (Almodovar, Bigas Luna) et aux films indépendants (Amenabar notamment), Marc Recha ouvre discrètement une troisième voie, authentique. C’est sans doute son expérience du super 8, qui lui inspire cette sobriété visuelle et sonore. Les dialogues sont à l’image de son style, épurés. Avec ce sixième long-métrage, Marc Recha prend le contre-pied d’une narration convenue, pour tendre vers une parole sans mot, du côté de Lynch.