Jojo rabbit

Article écrit par

Mignon

Jojo est tout excité. Pendant tout un week-end il va avoir la chance de brûler des livres, de faire des roulades et d’apprendre à lancer des grenades avec tous ses copains dans une jolie forêt. Jojo est tout excité, mais aussi assez stressé ; les Jeunesses hitlériennes ont beau être une sorte de colo super sympa où tout le monde s’éclate, il va lui falloir faire ses preuves pour avoir un jour la chance d’être envoyé en première ligne sur le front de l’Est. Heureusement son ami imaginaire est là pour l’encourager et lui donner des conseils, et quel meilleur ami imaginaire pour un apprenti nazi qu’Adolf Hitler lui-même ? A priori aucun, jusqu’à ce que Jojo apprenne le concept de conflit de loyautés après avoir découvert une jeune juive cachée dans sa maison.

Voir la guerre à hauteur d’enfant, voilà ce qui a donné envie au réalisateur néo-zélandais Taika Waititi d’adapter le livre de Christine Leunens (Le ciel en cage), voilà ce qui permet de s’autoriser une esthétique plus colorée et fantaisiste que dans un film dit historique et voilà, enfin, ce qui conduit à désamorcer son sujet pour en faire un objet inoffensif.

 

 

Heil five

Le générique où se superposent chanson des Beatles – version allemande – et extraits du Triomphe de la volonté éclatés et sur-éclatés façon memory, traduit d’emblée l’état d’esprit du jeune Jojo, dix ans à peine mais lavage de cerveau déjà bien entamé. Sa mère, fantasque et emplie de l’envie de vivre, a beau vouloir réveiller l’enfant bien caché dans le jeune hitlérien, la partie n’est pas gagnée. Nazi enthousiaste, posters du Führer au mur inclus, le jeune allemand digère sans mâcher tout ce que les adultes lui donnent à avaler : que la guerre c’est super, que les juifs ont des cornes et que les Aryens sont les plus forts du monde entier. Même un accident de grenade qui le laissera raturé et boitillant ne le fera pas changer d’avis, bien au contraire. Sur les bons conseils d’Adolf, il décide même de se comporter comme un lapin – c’est-à-dire une créature toute mignonne, inoffensive, et pas vraiment réputée pour son intelligence. De fait, Jojo Betzler – joli petit blondinet – est d’une naïveté qui confine à la bêtise, et d’une docilité qui le rendrait capable de se porter volontaire pour aller à l’abattoir. Le nazisme a même renversé l’idée de candeur, puisque tout ce qui est effrayant devient attrayant et inversement : à travers les yeux de Jojo, une ville en guerre revêt ainsi l’apparence d’un décor digne de Wes Anderson, un dictateur devient un personnage cartoonesque, tandis qu’une jeune juive cachée dans un placard se transforme en une sorte de créature de film d’horreur. Cette vision enfantine, en même temps qu’elle oblitère l’horreur réelle de la situation est censée en révéler toute l’absurdité ; comme si le ripolinage tout en pastel et en couleurs vives ne faisait que mettre en évidence les trous et fissures qu’il était censé dissimuler.

Le problème c’est que Taïka Waïtiti découvre la poudre : Mel Brooks, Chaplin ou encore Ernst Lubitsch sont passés par là avant lui, et avec beaucoup plus de succès, car quand il faut passer de la rigolade gentillette au drame pour faire face à son sujet, le film se prend les pieds dans le tapis.

 

 

Grenade dégoupillée

Ridiculiser les nazis, c’est rigolo et tout le monde – en tout cas, tous les gens avec un minimum de présence d’esprit – s’accorde pour s’en moquer. Mais souvent, le besoin de se moquer et de ridiculiser quelque chose ou quelqu’un prend sa source dans l’angoisse, voire la peur qu’inspire l’objet des moqueries. Et quand la comédie est réussie, le rire n’annihile jamais tout à fait la peur sous-jacente qu’il tente de conjurer. Ici, ni peur ni franche rigolade, tout est plutôt coincé dans une zone tiède, qui fait au mieux sourire. Le réalisateur est finalement celui qui s’amuse le plus dans toute cette histoire et on peut le comprendre ; jouer Hitler de manière bouffonne pour le rendre risible doit procurer un certain plaisir proche du défouloir. Mais à aucun moment le drame, pour ne pas dire l’horreur de toute cette situation, ne se fait réellement jour ; et quand le film tente une incursion du côté sombre, le résultat n’est pas concluant. La faute sans doute à l’esthétique carte postale du film qui adoucit tout, même la mort qui ne parvient pas à craqueler ce vernis de joliesse ; la seule scène de guerre est d’ailleurs traitée de manière assez cliché – ralentis et musique pathos à l’appui. Évidemment, personne ne demande à Jojo Rabbit de muter soudain en Allemagne année zéro mais pour fonctionner, dans ce genre de film, le rire doit un peu bousculer.

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