Interview de Geneviève Dulude-De Celles et Émilie Bierre

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Le plaisir de rencontrer la réalisatrice et la comédienne principale de « Une Colonie ».

Geneviève :

Dans votre film, un sentiment de réalisme se dégage, on en oublierait qu’il s’agit d’une fiction. Je pense notamment à la scène où les parents vont annoncer une nouvelle peu réjouissante à leurs deux filles. Pendant l’écriture d’Une Colonie vous étiez en train de tourner un long métrage documentaire, Bienvenue à F.L. Quelle différence faîtes vous entre la fiction et le documentaire ?

Je crois que la fiction me permet de trouver des moments qu’il me serait très difficile  de capter en documentaire. Par exemple, la scène de séparation dont vous parlez, il m’aurait été très délicat de demander à des parents d’annoncer une telle décision à leurs enfants. En tant que documentariste, on est généralement pas invité à ces moments là. C’est le cas également pour des moments d’intimité, comme lorsqu’on accompagne Mylia dans son entrée à l’école, qu’elle se réfugie aux toilettes pour se protéger des jeunes de son établissement. Ces moments d’intimité on peut les écrire, on peut les tourner. En documentaire, il y a une certaine censure, une gêne. Après, en fiction, je me nourris beaucoup du documentaire pour rester proche de la réalité. En documentaire, ce qui est amusant, c’est que je fais plutôt le contraire, je m’inspire de la fiction, je vais couper, faire appel à des artifices cinématographiques, des techniques précises pour raconter une histoire

Comment avez-vous préparé Une colonie ?

Dans Une colonie, j’ai travaillé avec beaucoup de comédiens amateurs. Il a fallu les former, faire un important travail de répétition. En documentaire, je passe également dans une phase de mise en confiance des personnes qui vont être devant la caméra. C’est un temps d’apprivoisement absolument nécessaire en documentaire, et plus encore en fiction. Il faut habituer un acteur à avoir une caméra face à son visage. Ainsi, je dois faire preuve d’une certaine délicatesse. C’est un point commun entre le documentaire et la fiction.

Quelle place avez vous laissé à l’ improvisation des acteurs ?

D’une façon différente selon les profils. A treize ans, Émilie avait déjà huit ans de carrière derrière elle. Une expérience qui nous a permit de rester très proche du texte. Pour Irlande, qui joue le rôle de la petite sœur de Mylia, j’ai laissé pas mal de place à l’improvisation. A huit ans, le cinéma reste un jeu. Je ne voulais pas la lasser, pour maintenir la spontanéité nécessaire. Il lui est arrivé de sortir vraiment du texte. C’est le cas lorsque Mylia essaye la robe de mariée de leur mère. Son improvisation a donné beaucoup de force à la scène.

 

 

Émilie :

Comment faites-vous pour vous adapter à de telles situations ?

En fait, c’est facile, il suffit juste de rester concentrée. De m’empêcher de rire. Et petit à petit, remettre la scène sur les rails. Sur le plateau, même si le texte était écrit on disposait d’une certaine liberté.

Geneviève vous a demandé de jouer un personnage. Comment réussir à être quelqu’un d’autre alors qu’on vous demande d’être la plus naturelle possible ?

Cela fait partie de notre métier de comédien. On doit puiser dans notre intimité et le transformer en quelque chose qui est écrit par quelqu’un d’autre. De plus, je me suis beaucoup retrouvée dans le personne de Mylia. Par ailleurs on a beaucoup travaillé  avec Geneviève. Pendant deux mois on a discuté sur la nature du personnage. On lui a crée une psychologie qui lui est propre. On a également fait beaucoup de répétitions des scènes du film. On a décortiqué toutes les scènes. Bien sûr, une fois sur le tournage, cela se déroulait différemment. Mais le travail était en place.

Est-il difficile de jouer un personnage réservé, pudique et qui doit cependant se révéler ?

Tout cela fait partie de l’adolescence. Ayant l’âge de l’héroïne, je comprenais cette situation. En tant que comédienne j’aime bien explorer ce qui fait partie de l’intérieur ; les regards, les sous-entendues. c’est une zone que j’aime travailler. C’est sûr que plus le film avance, plus le personnage évolue. C’est un évolution que j’ai également connue en tant que jeune femme. J’ai évolué en parallèle de Mylia.

Comment faisiez vous pour vous détacher de Mylia une fois la journée de tournage terminée ?

A vrai dire, les questions que se posaient le personnage continuaient à vivre en moi une fois à la maison. De même je continuais à prendre des postures, à adopter des gestes qui étaient propres à Mylia, comme sa manière de baiser la tête. Chaque personnage laisse une trace en moi. Je l’ai encore un peu en moi aujourd’hui.

Êtes-vous intervenue pour apporter votre point de vue sur la représentation de certains moments ? Par exemple, en disant en disant à Geneviève : dans cette situation une jeune fille de treize ans réagirait plutôt ainsi.

Geneviève le demandait à tous les acteurs, pas seulement à moi. Par exemple, dans certaines situations elle nous sollicitait: «  Est- ce que vous utiliseriez vraiment ce  mot pour dire ça ? »

Geneviève :

C’était très important pour moi. Car je ne voulais pas arriver avec des expressions qui datent des années quatre-vingt dix. De même, je ne voulais pas, comme c’est le cas dans certains films, que des adolescents soient joués par des acteurs plus âgés.

À l’exception de la scène de séparation, il n’ y a pas de moment dramatique fort. Cependant une tension est présente, une préoccupation sourde pèse sur les épaules des personnages.

Oui, pour moi c’était très important de ne pas tomber dans des artifices de dramatisation. Je voulais montrer que des événements apparemment anodins contribuent à insinuer du doute, à perturber notre sérénité. La vie est le plus souvent ainsi faîte.

Émilie :

À l’écran, il n’y a aucun doute Mylia et Camille (Irlande Côté) sont de véritables sœurs. Comment s’est crée cette complicité ?

Avec les répétitions, vraiment, on pratiquait les scènes, les jeux On passait également beaucoup de temps ensemble en dehors du tournage. Irlande est venue souvent chez moi. La phrase : « Tu es la femme de ma vie » qu’on dit dans le film, c’est une phrase qu’on se disait entre nous régulièrement On l’a ensuite introduite dans le film.

Geneviève :

Oui, je leur est piquée. C’était trop beau.

Dans votre film une place importante est accordée à la minorité indienne. En France, quand on pense aux indiens, on y associe forcement les États-Unis. Est-ce une communauté importante au Canada ? Leur représentation est-il un sujet d’actualité ?

Oui, c’est une réalité importante. On en parle de plus en plus au Canada. D’ailleurs, j’ai vu un film sur ce sujet la semaine dernière. Il semble que ce soit difficile de sortir  de nos préjugés sur un peuple que l’on connaît mal. Mais j’ai l’impression que cela commence à changer, on commence à reconnaître l’oppression que nous avons fait subir à ces autochtones.

Probablement dû au fait que nous vivons une époque de bouleversements sociétaux (monde du travail, structure familiale…), le cinéma contemporain porte une attention toute particulière aux conséquences humaines de ces évolutions. Est- ce un chemin que vous comptez explorer dans vos prochains films ? Ou allez-vous vous diriger vers un cinéma plus léger, une pure comédie par exemple ?

En fait, il y a des éléments comiques dans Une colonie, car pour moi le rire doit accompagner les drames. La vie s’orchestre ainsi. Après, il est vrai que je m’intéresse à l’humain, à des personnages, à des transformations. Mon nouveau  projet ne porte pas sur l’adolescence, mais parle également de questions identitaires. Ce sera aux critiques de dire si il y a des points communs. C’est sur que je préfère poser des questions plutôt que d’apporter des réponses..

 

 

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