Héritage, c’est un peu l’anti-Rengaine, sorti récemment et bâti autour de thèmes similaires : les questions d’identité et les mariages mixtes. Alors que le film de Rachid Djaïdani tirait toute son énergie d’une myriade de personnages en mouvement perpétuel dans les rues de Paris, celui d’Hiam Abbass tient plus d’un théâtre en vase clos, avec une famille nombreuse d’autant plus resserrée sur elle-même que la crainte des bombardements limite tout déplacement. C’est l’aspect le plus intéressant de Héritage, qui permet à la cinéaste de mettre l’ensemble de ses personnages sur un même plan, laissant vite jaillir les débordements. Il n’y a guère qu’Hajar qui se déplace dans la Galilée, faisant les allers-retours entre Haïfa, où elle étudie, et son village natal – belle mise en relief de son statut d’électron libre, d’emblée un peu à part. C’est également la limite du film : à vouloir les faire exister à égalité, Hiam Abbass a écrit des personnages parfois trop prononcés, trimballant chacun son lot de problèmes. Il y a le père, qui a des problèmes de santé qu’il ne soigne pas ; le frère médecin qui se découvre stérile ; le magouilleur surendetté ; l’avocat adultérin, candidat aux municipales et accusé de collaborer avec Israël ; l’épouse ultra-conservatrice et obsédée par l’argent.
Abbas leur donne tous la même place, dresse un tableau par instants trop foisonnant pour être lisible, peinant ainsi à faire s’intéresser à l’un ou l’autre en particulier. On pense souvent aux Sept jours (2008) de Ronit Elkabetz, sorte de Conte de Noël (Arnaud Desplechin, 2008) israélien qui voyait aussi les membres d’une famille s’entre-déchirer au cours d’une semaine de deuil. C’est ici le mariage d’une cousine qui cristallise la crise familiale, et quand une bombe finit par se faire entendre à proximité de la cérémonie, une photo de famille se transforme en arrêt sur image, géniale idée pour dire que tout cela est fragile, que le cliché pourrait toujours être le dernier à les rassembler tous. On sent, dans Héritage, une envie d’évoquer le tiraillement entre l’identité palestinienne, très conservatrice, et celle d’Israël, plus étrangère aux traditions. Hiam Abbass le fait assez finement, sans juger ses personnages, mais les actionne aussi plus comme marionnettes que comme personnes de chair, incarnations de doutes et de crises identitaires souvent trop mis en scène.
Reste une illustration extrêmement crédible de la vie en temps de guerre, dans une zone où les conflits ne s’éteignent jamais tout à fait. Le travail du son est à ce titre remarquable : aux tourments intérieurs se superpose la tempête extérieure, matérialisée par le son incessant des avions de chasse en survol. La peur est palpable, le besoin de continuer à vivre aussi. C’est la belle force de Héritage, celle de montrer des hommes et des femmes qui avancent du mieux qu’ils peuvent, engoncés dans leurs certitudes mais épris d’une liberté pour laquelle il faut se battre. Le tableau n’est pas toujours très lumineux ; il s’éclaire sur la fin, quand le bruit assourdissant n’est plus celui des bombes qui sifflent, mais celui d’un avion au décollage, qui s’en va loin, ailleurs.