Pourquoi aimer Harry Potter ? Quelle force obscure nous attire vers cet énorme phénomène de mode ? Notre âme de ménagère, fétichiste des balais ? Le fantasme inconscient de courir nu dans les bois à la pleine lune ? Sûrement pas notre désir d´originalité. Et pourtant !
Depuis que Peter Jackson a conclu sa trilogie du Seigneur des Anneaux, on a beau chercher dans les grandes sagas les faciès marquants, les tronches charismatiques, ce n’est pas la mignonne Kirsten Dunst de Spider Man qui pourra satisfaire notre goût du freak. Réussir à faire d’Orlando Bloom une créature spirituelle et habitée n’était déjà pas donné à tout le monde, la preuve en est dans Pirates des Caraïbes. Nostalgiques des yeux écarquillés d’Elijah Wood et des regards foudroyants de Christopher Lee, on a toujours trouvé de quoi se consoler dans le casting d’Harry Potter.
C’est probablement la recette de son succès : un choix d’acteurs impeccable, attachants, tous plus british les uns que les autres, et visiblement recrutés sur leur gueule, voire leur voix suave… On pense évidemment à l’excellent Alan Rickman, le très distingué professeur Rogue, sous le charme duquel nous sommes définitivement tombés. Mais pas que : Rupert Grint s’avère être la véritable révélation de la série, s’affirmant encore et toujours dans ce dernier opus, face à un Harry certes bon, mais toujours plus ou moins coincé dans le registre du mec consterné par ce qui lui arrive.
Depuis Harry Potter et la coupe de feu, la série s’engluait dans le premier degré d’une solennité assez peu digeste. De la mort de Cedric (« Porte ma dépouille à mon père ! »), à la mort de Dumbledore (Fais comme l’oiseau en ralenti Dolby Surround), en passant par le désespoir larmoyant de Harry lors de la mort expéditive de Sirius Black (toujours au ralenti Dolby Surround), on ne peut pas dire que David Yates ait toujours joué de finesse. Au point d’en devenir risible, ce qui peut s’avérer gênant dans la réception des scènes les plus hautement dramatiques.
Ce coup-ci, Harry a mûri avec son dernier réalisateur. L’esthétique pompière cède la place à une interprétation plus romantique des paysages, et des effets visuels plus poétiques. Harry Potter passe le plus clair de son temps coincé dans les bois avec Hermione et Ron. L’errance et la tension sont de mise dans cet épisode de malaise ponctué par quelques scènes d’actions plus explosives. Si la première course poursuite se situe dans la tradition du « plein la vue dans tous les sens » cher aux blockbusters à effets spéciaux, tournoyants et vomitifs, autant les autres affrontements sont bien plus suggestifs, laissant davantage de place à notre imaginaire anxieux. La séquence d’animation bien amenée du conte clef des Reliques de la Mort enfonce le clou d’une infantilisation assumée du spectateur, réduit à l’état de morveux à la fois paralysé et captivé par un cauchemar.
Cet état permanent de suspens bénéficie de la division du dernier tome, qui, aux vues des dénouements des deux dernières adaptations, aurait dû être appliquée plus tôt. Au bout de deux heures, il faut croire que le temps presse… « Shalakazam » ! Les épilogues déboulaient sans prendre le temps d’en poser les jalons, ni même d’en broder les enjeux psychologiques. Houlà ! Un bien grand mot ? On nous fait pourtant bien comprendre que Malefoy n’est pas très à l’aise dans son carcan de vilenie, et que Rogue, semble-t-il, a des raisons secrètes, que notre raison continue d’ignorer, d’en venir au pire. Malheureusement, cet aspect introspectif passe à la trappe, de peur qu’on s’attache trop aux méchants. Drago se contentera de chouiner sans aucune classe. Cette superficialité est, fort probablement, largement imputable à une romancière peu encline aux complications.
Ne pas s’attendre à une révolution dans cet épisode. Mais, chose inédite depuis Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban (d’Alfonso Cuarón), où Lupin et Sirius jouaient les rôles de gentils tourmentés – le loup-garou humaniste et le parrain psychopathe –, le trait du manichéisme est moins forcé : si les mauvais s’habillent toujours à la mode gothique et les bons en sportswear chic et décontracté, l’usage excessif du ventilo a été abandonné. Enfin, les gentils n’ont plus les cheveux dans le vent ! Même si la plupart des méchants semblent toujours utiliser du gel fixant, ou, au moins, de l’après-shampooing lissant. Cerise sur le gâteau : l’excessivement hystérique Helena Bonham Carter, l’exception chevelue des bileux, marquée au fer rouge par sa prestation lourdingue dans Sweeney Todd, s’est calmée. Le tout donnant un ensemble beaucoup moins caricatural.
Ce dernier épisode gagne donc en humour. On ose tourner en dérision la bluette jusque là un peu mièvre entre Ron et Hermione. Puis, s’initier à la vie de Moldus n’est pas chose simple quand on ignore l’existence du capuccino… Sans compter les changements d’identités, confirmant, encore une fois, la puissance comique de Ron. Du rire, donc, mais aussi … une portée symbolique ! L’allusion au Seigneur des Anneaux n’était pas gratuite : J. K. Rowling a sacrément pompé sur Tolkien, et on constate sans surprise que le port du Horcruxe provoque les mêmes sautes d’humeur que le terrible « précieux ». On sait aussi que Tolkien a écrit son best-seller en pensant à la seconde guerre mondiale. Lorsqu’ Hermione se voit graver au coutelas « sang de bourbe » sur le bras, l’allusion au nazisme devient transparente, alors qu’elle n’était jusque là que très légèrement palpable dans la tenue du blond platine Lucius Malefoy. Il est maintenant ouvertement question de sang impur et de collaboration, auxquels font merveilleusement écho les décors parfois clairement référencés peinture allemande du XIXe, un style aussi réputé pour ses brumes fantastiques que son nationalisme malsain. L’île sur laquelle est enterré Dumbledore, inspirée de l’Ile des Morts de Böcklin, en est l’exemple le plus frappant. Le plagiat devient hommage : l’adaptation a le mérite de vulgariser avec efficacité cette allégorie politique.
C’est finalement Hermione, le véritable héros de la saga. On commençait à s’en douter… La barbe d’Hagrid, les deux guignols Fred et George Weasley, le bienveillant Lupin, l’excentrique Luna, son baba cool de père complètement défait, la désagréable Dolorès Ombrage, toute de rose vêtue… Tous nous manqueront. On aura beau s’en moquer, à la veille de sa clôture, on déplore déjà le peu de temps consacré aux personnages secondaires au cours de la saga, au profit d’une course au Voldemort dont nous n’avons que faire. Si la magie attire autant d’adultes au cinéma, c’est probablement parce que, blasés, on souhaiterait côtoyer les fantômes, voir bouger nos photos, faire la vaisselle sans les mains… Tout simplement, un quotidien moins ordinaire. Cet épisode résonne comme une parenthèse, une pause : le temps de se dire adieu. David Yates en est conscient et préfère recentrer sa caméra sur ses protagonistes, eux-mêmes avertis que les jours sont comptés avant le grand final tant redouté. Probablement pétaradant. A notre grand regret.
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Titre original : Harry Potter and the Deathly Hallows - Part 1