Y a-t-il une malédiction des cinéastes new-yorkais ? On serait vraiment tenté de le croire lorsque l’on constate le déclin des Martin Scorsese, Brian de Palma, Woody Allen, pour ne citer qu’eux. Déclin d’autant plus cruel que tous – sauf Woody Allen peut-être – ont côtoyé des sommets cinématographiques. C’est aussi le cas d’Abel Ferrara qui depuis de nombreuses années n’arrive guère à se renouveler et à offrir de nouvelles propositions esthétiques intéressantes depuis New Rose Hotel (1998) pour les plus indulgents ou depuis Bad Lieutenant (1992) pour les plus réalistes. Arrive alors Go Go Tales, film qui – pour des raisons juridiques et de cuisine entre distributeurs – sort avec cinq ans de retard après sa diffusion au Festival de Cannes 2007.
Le Paradise est un cabaret chic de gogo danseuses situé dans le sud de Manhattan. Une usine à rêves dirigée par Ray Ruby, impresario éminemment charismatique, assisté par ses vieux compères et une bande de personnages pittoresques. Malheureusement, tout ne va pas pour le mieux au Paradise : les danseuses menacent Ray d’une grève, lequel doit également affronter la colère de la propriétaire des lieux, bien décidée à les expulser. Ray tente sa chance à la loterie…
Comme il s’agit de Ferrara, il y a deux façons d’aborder Go Go Tales : soit le voir dans l’ensemble de la filmographie du maître, soit le considérer au vu des errances de ses dernières années. Dans un cas, c’est un film mineur en forme d’aveu d’impuissance et de fatigue de l’auteur, dans l’autre, une comédie anecdotique qui, loin d’être le réveil espéré de l’artiste, constitue une belle tentative de se frotter à un nouveau genre. Car Go Go Tales est une comédie, la seule volontaire de son auteur.
Évidemment, la réalité n’est jamais aussi tranchée et voir dans Go Go Tales un mauvais film, une simple anecdote, serait faire injure à l’énergie déployée dans le film, tant du côté du metteur en scène que des nombreux et excellents acteurs. C’est là l’une des qualités de Ferrara, sa capacité à réunir sur des projets des comédiens de talent voire de génie comme Willem Dafoe ou Matthew Modine. On pourrait même y rajouter quelques gueules toujours agréables à retrouver comme Bob Hoskins et Burt Young. Il ne serait d’ailleurs pas très difficile d’imaginer derrière Ray Ruby, patron endetté mais empli de charisme et d’idées, un Abel Ferrara un peu usé mais toujours émouvant de sincérité. L’analogie s’arrête toutefois là puisque Ferrara a l’intelligence de ne pas faire de ce cabaret un univers qui l’a toujours fasciné et – on le comprend – une analogie un peu facile de l’industrie cinématographique. Le film serait davantage une réponse paradoxale à L’Apollonide de Bertrand Bonello où les corps alanguis et soumis des prostituées dialogueraient avec les silhouettes élancées et dansantes des strip-teaseuses. L’Apollonide avec l’humour en plus.
Cherchant à mettre en scène ce « bordel organisé », en faisant la part belle aux multiples improvisations et en donnant carte blanche à ses comédiens, Ferrara tombe dans le piège de la copie bâclée. Certes on comprend que le cabaret est dans le rouge et que Ray doit retrouver son ticket gagnant, mais finalement, l’enjeu narratif reste totalement inexistant, ou alors incompréhensible. Le montage chaotique et la frénésie dans l’enchaînement des séquences – surtout dans la première partie – donneraient même à penser que Ferrara a confié les clefs de sa boutique à son chef op’ et son monteur. On ressent alors des longueurs – malgré la courte durée du film – et des moments incohérents comme l’arrivée d’Asia Argento qui roule une pelle à son chien. Caution hype et faussement trash mais rien de plus, hélas.
Ou plutôt dommage. Car on sent bien que Ferrara et sa troupe ont pris du plaisir à faire ce film joyeux et emballé, à reprendre ses thèmes de prédilection (New York, la nuit, les marginaux et les écorchés) pour les déplacer sur le terrain de la comédie. Go Go Tales est-il pour autant une comédie ? Non, plutôt un film amusant et sympathique, à des années-lumière de ce que Ferrara sait faire mais pourtant annonciateur de bonnes choses pour la suite.
On attend encore Ferrara au tournant.