Friday Night Lights

Article écrit par

Sous ses faux airs de banal film de sport US, « Friday Night Lights » distille avec finesse le parfum doux amer du mirage de l´adolescence et la brutalité du passage à l´âge adulte.

Le film Friday Night Lights est basé sur des faits réels relatés dans le bestseller américain Friday Night Lights : A Town, a Team and a Dream (1990) par H.G. Bissinger. Dans celui-ci, Odessa y est présentée comme une ville entièrement consumée par le club de football du lycée. Une image que le réalisateur Peter Berg réussit à traduire fidèlement dès les premières secondes de son long métrage. Au beau milieu du désert texan et des puits de pétrole, visibles dans le lointain, les membres des Permian Panthers, l’équipe locale du lycée en quête du titre de champion d’État, s’avancent vers un horizon hors-champ que la caméra tarde à révéler.

Cet horizon, c’est le stade de football d’Odessa, qui s’élève avec insolence au-dessus du néant tel un monolithe. Dès le départ, cette structure massive, dantesque, est donnée à voir comme la seule perspective possible, la convergence de toutes les attentes dans le petit monde d’Odessa en 1988.
C’est que le football fait office de véritable religion dans cette petite city proche de Midland, où chacun y va de ses quolibets si l’équipe locale ne remporte pas ses matchs. Du nouvel entraîneur des Permian Panthers, un dénommé Gaines, la radio locale ne cesse de critiquer les moindres faits et gestes, estimant que ses joueurs ont mieux à faire que d’apprendre des choses à l’école. Même si le réalisateur se garde de tout commentaire à propos des hobbies de la communauté d’Odessa, préférant se concentrer sur une minorité, cette portion des États-Unis semble avant tout vivre au rythme des touchdowns et ne reprendre son souffle que les soirs de match.

À première vue, Friday Night Lights s’apparente à une multitude de films sur fond de sport US – on pense à Le Meilleur (Barry Levinson,1984), Le Grand défi (David Anspaugh, 1986), Rêve de champion (John Lee Hancock, 2002) et surtout L’Enfer du dimanche (Oliver Stone, 1999). Difficile par exemple d’ignorer les similitudes entre l’œuvre d’Oliver Stone et celle de Peter Berg, ne serait-ce qu’en matière d’approche visuelle. Avec L’Enfer du dimanche, Friday Night Lights partage ainsi un même modèle de captation des matchs, misant avant tout sur la spectacularisation et l’ultra-réalisme, dans les vestiaires comme sur le terrain. Mais en dépit de quelques codes empruntés ici ou là, le film de Berg se distingue de ses aînés en choisissant de placer le sport au second plan. Car, en fin de compte, si toute l’histoire gravite bien autour du football américain et des matchs, la discipline ne sert qu’en tant que révélateur du passage à l’âge adulte. Quoi de mieux il est vrai que l’univers du football américain de haut-niveau, où la « star-systématisation » des joueurs ne sert qu’à dissimuler leur condition de variable économique élémentaire, pour dévoiler les désillusions du monde adulte ? Ce statut de variable, les membres des Permian Panthers n’en font pas seulement l’expérience en tant que composants d’une industrie : ils sont aussi les acteurs, conscients ou non, du désir de revanche de leurs parents sur le dénuement de l’existence. Pire, ils incarnent pour la ville toute entière une possibilité de rédemption, un deuxième aller pour la gloire.

À ce titre, l’entraîneur Gaines à ses mots lourds de signification lorsqu’il s’adresse aux Permian Panthers avant un match : « Vous avez la responsabilité de protéger cette équipe, cette école et cette ville ». Mais protéger la ville contre quoi, au fait ? Car il n’est pas question de guerre dans Friday Night Lights mais juste de l’équipe de football du lycée. Le rôle de l’équipe, au fond, est de briser l’idée que la ville est sans importance et ses habitants insignifiants. Ainsi, si le coach Gaines parvient à emmener les Permian Panthers à un championnat d’État, cela voudra dire aux yeux de chacun que Odessa est un endroit sur lequel compter, un espace relatif de domination. C’est la raison, sans doute, qui pousse les adultes de Odessa croisés dans Friday Night Lights – qui ne semblent se définir qu’en fonction de leur relation avec les Permian – à faire pression à la fois sur l’équipe et sur l’entraîneur. Dans les soirées entre amis, dans les restaurants, partout où il va, Gaines fait ainsi l’objet d’un flot incessant de commentaires, de critiques, de suggestions ou de menaces prononcées sur le ton de louanges. « Amenez-les jusqu’aux championnats d’État », lui lance, l’air patibulaire, un de ces obsessionnels sur le parking d’un supermarché. « Ou quoi ? », demande Gaines. Ou encore : « Allons-nous encore devoir déménager ? », demande le jeune fils de l’entraîneur après une défaite. « Non, trésor », répond sa mère, avant que Gaines n’ajoute un « peut-être ». Gaines comprend mieux que quiconque que le football n’est qu’un jeu.

Malheureusement, son métier à lui n’en est pas un, et il se doit également de prendre ce sport très au sérieux, non pas cette fois pour protéger la ville et l’école, mais pour préserver sa famille du besoin et du danger. Reste qu’en un sens, le travail fourni par Gaines auprès des joueurs peut s’apparenter à une introduction à la nature épineuse du monde. Une équation hasardeuse où perdre d’un coup toutes ses chances d’arriver un jour au sommet, c’est comprendre qu’échapper au déterminisme social ne se fait pas d’un coup de baguette.

Plutôt que d’explorer les sempiternelles salles de classe et autres réfectoires, Peter Berg circonscrit donc au maximum les attributs classiques du teen movie dans Friday Night Lights. Si les sportifs sont bel et bien de la partie – et leurs matchs inévitablement fréquentés par quelques bandes de pom-pom girls -, si l’initiation sexuelle est vaguement évoquée, la plupart des archétypes du genre sont ignorés. En réalité, Friday Night Lights serait plutôt le contrechamp des teen movies habituels. Certes, la plupart des séquences du long métrage se déroulent sur un terrain de football américain, lieu emblématique par excellence des films pour adolescents. Mais cet espace n’est pas, comme souvent, le catalyseur de toutes les passions, la rampe de lancement de la star du lycée, mais un purgatoire traçant les pourtours de l’existence à venir des joueurs. Les minutes de gloire des matchs du vendredi soir juste après les cours ont maintenant laissé place à des compétitions aux enjeux qui dépassent ces adultes en devenir. Il faut se rendre à l’évidence, les feux des projecteurs des soirs de match n’étaient qu’un leurre, et le temps est désormais venu d’abandonner le monde fantasmatique et fantasmé de l’adolescence. Sans se l’avouer, les membres de l’équipe auront dans une certaine mesure chacun à leur manière déjà été préparés à l’aridité de l’existence, ne serait-ce qu’à travers leur vie de tous les jours – l’un par le biais d’une mère obsessionnelle ne vivant que pour voir son fils gagner, l’autre via un père alcoolique projetant sur lui son échec passé dans le football professionnel.

Mais au-delà de ce tableau pessimiste habilement mis en scène filtre néanmoins une lueur d’espoir : l’assurance que ces instants volés auront permis de forger chez certains les regards critiques de demain. Si le parcours initiatique présenté par Peter Berg, de par son côté un tantinet tape-à-l’œil, n’est peut-être pas totalement exempt de défauts, il n’en demeure pas moins à classer parmi les œuvres cultes du genre. Un film dont la qualité d’écriture préfigurait par ailleurs les fulgurances de la série éponyme à venir (2006 – 2011).

Titre original : Friday Night Lights

Réalisateur :

Acteurs : , , , ,

Année :

Genre :

Pays :

Durée : 118 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi