Tireurs d’élites ou tireurs débiles ?
Car c’est bien ce « potentiel » du groupe qui va déclencher l’action du film, qui ne reposera au fond que sur un seul motif : les conséquences, durant toute la durée du long métrage, d’une balle perdue et de son effet domino. Une bascule dans la violence causée de façon comique par deux jeunes seconds couteaux des gangs : Harry (Jack Reynor), du groupe de Vernon (à qui son camarade rappellera pourtant d’entrée de jeu qu’il est insignifiant) et Stevo, malfrat adepte des stupéfiants. Cette réunion vrille vers la tuerie non pas en raison de désaccords stratégiques, « professionnels », d’un échafaudage scénaristique dans l’esprit d’un récit policier alambiqué, mais à cause d’une altercation qui a dégénéré entre les deux jeunes dans un bar un peu plus tôt. Dès lors, le sérieux de l’affaire – Chris qui critiquait d’un œil averti que les armes livrées ici n’étaient pas le modèle attendu – se voit vite décrédibilisé. Et les tueurs d’élite se transforment en tueurs débiles.
La gachette libre, comme l’indique le titre du film, devient le moteur de l’œuvre, son seul fil narratif, autant dire que Free Fire repose sur de l’air, des balles qui sifflent, donnant l’impression d’être en roue libre de bout en bout. Pour faire tenir ce postulat aux effets à la fois jubilatoires et assez violents, Ben Wheatley a misé sur la vélocité d’un montage endiablé et des dialogues fusants, qui ne sont pas sans rappelés la verve d’un Tarantino, et plus particulièrement de son premier film Reservoir Dogs (1992) où, déjà dans un entrepôt, avec le même modèle de huis clos, plusieurs hommes se trouvaient réunis après un braquage qui avait mal tourné. Ce rapprochement permet de toucher à ce qui finit peut-être par trouver ses limites dans le projet de Free Fire : son absence de développement scénaristique au profit de la seule joute verbal(l)e, d’une forme de parodique de l’action movie, là où Quentin Tarantino solidifiait son film avec la reconstitution à résoudre du casse et une rare qualité dialogique.
Dès lors, la réussite et l’efficacité cinématographique de Free Fire se singularise plutôt à travers la dynamique attachante de ses interprètes, la réactivité de son montage, fusant à la suite des balles, et l’exploitation par le réalisateur du huis clos grâce à une scénographie étudiée pour sa fusillade au long cours. Cet entrepôt blafard, qui ploie sous des néons jaunâtres, une lumière un peu brûlante, bourré de sacs de ciments, de meubles improbables et d’ordures diverses, se transforme en un terrier idéal pour tous ces hommes et cette femme qui vont finir à terre. Le ventre au contact du sol, de plus en plus criblés de balles, les gravats qui les appellent, chacun(e) joue littéralement des coudes pour s’extirper de ce terrier-tombeau. D’un surréaliste assez comique, où nous sommes moins dans la figure du film de genre où, touché à mort, le héros se relève sans pouvoir mourir, l’oeuvre fait longtemps survivre ses personnages au prix de corps et de visages qui mordent toujours plus la poussière, dans une circulation de registres, du rire à la répulsion, de farce. Une gymnastique maline, un geste de la performance pure, qui s’apparente à un entraînement militaire déglingué, dont la problématique originale est peut-être résumée par Ben Wheatley lui-même, derrière la question simple qu’il fait poser à chacun de ses personnages : « Vais-je arriver à ramper jusque là-bas? »