Entretien avec Sarah Mersch

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Il est impossible de nos jours de nier ce fait : le cinéma allemand renaît de ses cendres. Rencontre avec Sarah Mersch, critique de cinéma en Allemagne

Des noms imaginaires. Une histoire romantique et des échappées belles comme une toile de Modigliani. Dispersée, morcelée, brisée, l’âme humaine s’en est allée durant des décennies pour revenir finalement dans un brasier ardent. Des personnages débordant de vitalité ont su redorer le blason, des Fassbinder, Syberberg, Schroeter, Herzog et autre Wenders, des types à qui on ne pouvait la faire, des cinéphiles passionnés (quel pléonasme), et qui se sont interrogés avec brio sur l’Histoire, sur ce pays qui les a vus naître, sur cette honte nationale qui endeuilla les bien nommés, les amoureux de la liberté et les humanistes. Plus loin, des décennies s’écoulèrent et ce fut la traversée du désert. Pas d’héritage, pas l’ombre d’une miette, que des boursouflures. Le néant reprenait ses droits, laissant à l’abandon une géographie qui n’aspirait qu’à une chose : respirer.

Au beau milieu des années 90, il y eut une sorte de renaissance qui créa un véritable embouteillage des sens. Une nouvelle école, celle de Berlin, reprenait le flambeau des Anciens et dynamita toutes les conventions, tout ce cinéma de papa qui pourrissait la production allemande. De Christian Petzold (Contrôle d’identité) à Valeska Grisebach (Désirs), en passant par Henner Winckler (Lucy), c’est tout un groupe cosmopolite qui tente tant bien que mal d’imposer une nouvelle idée d’un cinéma qui prend des risques et qui, de son envolée tonitruante, apaise les froussards.
Rencontre avec la critique de cinéma Sarah Mersch, afin de comprendre cette nouvelle génération.

Pouvons-nous dire que le cinéma allemand des années 2000 est le plus intéressant et le plus inventif de son histoire ?

Sarah Mersch : Je crois que non. Je n’aime pas les généralisations. Certes, on pourrait dire qu’il y a un nouveau mouvement cinématographique depuis quelques années, mais il faut avouer aussi que ça reste dans un cercle assez limité. On n’a pas le droit de clamer que  ledit mouvement est le plus important dans l’histoire du cinéma allemand. Ce serait oublier la période des années 20 ou bien celle qui vit naître des Fassbinder, Herzog ou Wenders. Autre chose, ces jeunes cinéastes sont très influencés, ils ont des modèles et pas des moindres. Par exemple, dans leur traitement de la réalité, du politique, dans le retrait des personnages dans la sphère du privé, ils me font penser à la deuxième génération de la nouvelle vague française, les Pialat ou Doillon.

Existe t-il réellement une « nouvelle vague » en Allemagne ?

Sarah Mersch : Oui et non. Non, parce que les films de cette nouvelle vague (appelée « nouvelle école de Berlin » en allemand) sont très éloignés des films grands publics et réputés auprès de la critique, des festivals et à l’étranger, mais leur influence en Allemagne est assez limitée. Et si certains films tels que Contrôle d’identité sensibilisent 100.000 spectateurs, c’est une exception. Les autres films avoisinent les 10 000 spectateurs. En parallèle, existent près du cinéma commercial des comédies socio-réalistes telles que Good Bye Lenin ou des films historiques assez douteux sur la forme utilisée, tels que La Chute d’Oliver Hirschbiegel. Il ne faut pas oublier de différencier un film très formaliste comme Dealer de Thomas Arslan, et Lucy qui reste très proche de la réalité, et je poursuis dans ma réponse négative car l’expression de « nouvelle vague » est d’abord un label établi pour traduire un groupe de films hétérogènes, qui est moins l’expression d’un style unique, mais qui signifie plutôt leur différence du cinéma commercial.

Mais dans un certain contexte, on peut, on doit aussi dire « oui, il existe une nouvelle vague en Allemagne ». Pas nécessairement en terme de quantité mais dans l’attitude, dans le point de vue des réalisateurs. Observez leurs personnages et vous verrez souvent qu’ils sont mélancoliques, ne voyant aucune solution dans leur vie et ne pouvant imaginer un « dehors ». Cela donne une forme de retrait dans un monde totalement privé, refusant d’adopter le monde conservateur et bourgeois, mais sans trouver une autre solution pour la vie. Ces réalisateurs ont tous grandi durant les années Helmut Kohl en Allemagne, dans un monde où ni les idéologies, ni les utopies n’avaient leur place. De là naissent des œuvres cinématographiques dans lesquelles des microstructures sont analysées et dont le résultat donne de la tristesse, du désespoir sans pour autant sombrer dans du cinéma politique. Je dirais donc que ce n’est pas la thématique des films qui est politique, mais la façon de filmer. Et dans ce sens-là, on pourrait parler d’une «nouvelle vague ».

On peut noter que la plupart de ces cinéastes sont tous plus ou moins des amis provenant de la même région, celle de Berlin. Doit-on uniquement centraliser cette nouvelle configuration ou cela englobe toute l’Allemagne ?

Sarah Mersch : Ils viennent de Berlin pour la plupart, je pense à Schanelec, Arslan ou Petzold qui étudièrent principalement à l’école de cinéma de Berlin, la DFFB. Il faut aussi dire que la plupart ont fait leurs premiers pas avec le Kleines Fernsehspiel de ZDF, la deuxième chaîne allemande, qui co-produit les films et produit un maximum de trois films par réalisateur, dont la diffusion est de l’ordre d’une fois par semaine, toujours à minuit !

J’ai l’impression qu’entre la période des années 70 et celle des années 2000, la thématique de la « contestation sociale » s’est évaporée, les nouvelles revendications étant plutôt de l’ordre de l’intime (PingPong, Lucy, Le Bois lacté…). Qu’en pensez-vous ?

Sarah Mersch : Il y eut un changement radical dans notre vie politique et cela se voit dans les films des années 2000. Dans beaucoup de ces films, le monde extérieur est encore présent. D’une façon moins prononcée peut-être, mais la plupart de ces œuvres cinématographiques s’intéressent aux résultats de ce monde et non à ses raisons. Ces cinéastes dressent des bilans, ils observent plus qu’ils ne se révoltent. Disons que dans Lucy, Bungalow, Dealer, ou Sehnsucht, les réalités sociales existent comme toile de fond mais ils ne font pas partie de l’action. La question maintenant est de savoir, après une dizaine d’années d’existence, si cette « Nouvelle vague » va s’ouvrir au monde extérieur, un monde qui est en fait responsable des maux de notre société. Yella de Christian Petzold reste le meilleur exemple à ce jour.

Ce qui frappe d’emblée, c’est que cette « nouvelle vague » rencontre un petit succès dans son propre pays. Comment pouvez-vous expliquer cela ?

Sarah Mersch : Toute réponse serait de la spéculation, mais il est vrai que le public allemand trouve ces films difficiles d’accès, lourds et longs. Un public qui entre nous souffre car ces films, ces images, leur reflètent un bout de leur quotidien. Quoiqu’il en soit, ces films ne rencontrent qu’un petit succès dans les cercles de cinéphiles.

Un film tel que La Vie des autres est bizarrement à exclure de cette « nouvelle vague », car plus académique dans son traitement historique. Existerait-il d’autres mouvements cinématographiques hormis celui-ci ?

Sarah Mersch : La Vie des autres est un cas spécial. Je le trouve très classique, presque conservateur dans son style. Le réalisateur allemand Romuald Karmakar disait lors d’une conférence sur La Nouvelle vague allemande de Berlin, que La Vie des Autres utilise une mise en scène propre à ceux que l’on voyait dans les années 50 en RFA sur la Wehrmacht, avec l’officier modèle de la STASI qui offre au public la possibilité de réconciliation. D’ailleurs, durant cette conférence, on commençait à intituler des films tels que La Chute ou La Vie des autres, des « pornos historiques ». Sinon, la plupart des films allemands semblent êtres des comédies sociales, petits et gros budgets confondus, et de qualité très variée. On trouve aussi quelques adaptations littéraires dont récemment des textes de Martin Walser, Zeruyah Shalev et Judith Herrmann.

Que pensez-vous réellement de cette nouvelle vision du cinéma ?

Sarah Mersch : Je pense que l’existence de cette nouvelle vague est un pas en avant pour le cinéma en Allemagne, surtout après les années 80 et 90. On peut le qualifier de cinéma « intellectuel », élitiste même si ces films montrent des gens simple. C’est aussi l’ « externalisation » de la mélancolie et des luttes intérieures d’une certaine génération post-idéologique. Mais malgré la qualité de chacun de ces films, j’ai peur que cela se répète, et crée une sorte de formalisme. Je ne suis plus aussi enthousiaste qu’au début.


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