Après Ozu et Bergman, c’est au tour de Fellini de rejoindre la collection Format Bible de Carlotta. Voici donc un pavé tout rose shocking fluo, même les photos du cahier central en noir et blanc sont imprimés sur du papier rose carmin, ce qui leur confère un aspect diabolique un peu dérangeant, d’autant que la plupart sont très connues. En fait, c’est bien une Bible qu’on tient dans ses mains, pas très pratique à lire au lit ou dans le métro à moins d’avoir un caddie à disposition. Pourtant, tout l’œuvre y est traité de manière presque obsessionnelle : des Feux du Music-hall (son premier film co-réalisé avec Alberto Lattuada) à La voce della Luna, son dernier film, véritable testament, vous saurez tout, tout, tout sur Federico Fellini. On dirait qu’Aldo Tassone a fouillé dans ses tiroirs et cartons pour exhumer tous ses souvenirs, des pages et des pages, soit un volume pas vraiment aéré, avec des pavés de textes sans illustration. On a l’impression de feuilleter une thèse d’État des années 1970 ! Aldo Tassone a eu la chance de rencontrer le Maestro – à la toute fin des années 1960 – qui l’a adoubé et, depuis, il a pu assister à tous les tournages et se proclamer spécialiste et ami du premier cercle. En effet, tombé amoureux de La Dolce Vita et de Huit et demi au cœur des années 1960, alors qu’il était étudiant en Lettres, il a eu la chance de faire la connaissance du cinéaste dès 1969, l’année de Fellini Satyricon, par l’entremise de son fidèle scénariste, Ennio Flaiano, ça aide.
Devenu alors un habitué de Cinecittà, il va suivre régulièrement pendant près de vingt ans le travail du Maître qui lui accordera de temps en temps des entretiens, lui qui en a tant donné tout en affirmant qu’il détestait ça. Ainsi pourra-t-il aussi rencontrer d’autres cinéastes comme il le raconte au passage, tels qu’Orson Welles, Luis Buñuel, Akira Kurosawa, Michelangelo Antonioni, François Truffaut ou Alain Resnais, tous des fidèles visiteurs de Fellini sur son lieu de travail, le célèbre studio 5. Chacun des vingt-trois films et demi que compte l’œuvre de Fellini se trouve ainsi mis en perspective avec une visible volonté de proximité : l’auteur en livre la genèse, en analyse les inventions scénaristiques et cinématographiques, tout en retraçant l’évolution du réalisateur, parti du néoréalisme de l’après-guerre pour arriver très vite aux plus somptueuses créations oniriques et pseudo-baroques. En outre, à travers une sélection de critiques d’époque, Aldo Tassone retrace l’accueil fait en Italie, en France et aux États-Unis aux différents films de ce réalisateur universel. Federico Fellini est sans doute l’un des cinéastes les plus étudiés dans le monde, on ne compte plus tous les livres qui lui sont consacrés. Malheureusement, le seul absent de cette somme, c’est peut-être Fellini lui-même, analysé et décortiqué comme sur une table de dissection mais sans amour, ni passion qui étaient pourtant ses modes de fonctionnement, constatés par ma propre expérience. Aldo Tassone avait déjà fait publier le scénario du film que Fellini n’a jamais hélas tourné, Le voyage de G. Mastorna. Enfin, grâce à ce livre, on sait combien de films Fellini a réalisé exactement, 23 et demi, et ça fait un titre tout trouvé facile à retenir ! À vous de vous faire une idée personnelle sur ce nouveau gros volume, mais attention, si vous comptez l’offrir à tonton Jacques pour Noël sous prétexte que Télérama est sa bible, renseignez-vous bien avant auprès de tatie Josette pour savoir s’il est vraiment fan car c’est quand même un investissement onéreux !
Aldo Tassone. Fellini, 231/2. Tous ses films. Carlotta. Paris, 2024, 1468 p. 59 euros.