L’heure serait-elle aux grands enfants ? Après Spike Jonze et son grandiose Max et les maximonstres, c’est au tour de Wes Anderson de s’attaquer à un autre monument de la littérature enfantine. Pas le premier à avoir eu l’envie de porter Roald Dahl à l’écran, précisons d’emblée qu’il s’en tire pourtant mieux que bon nombre de ses confrères, Tim Burton et son Charlie et la chocolaterie un rien mièvre en tête. La première bonne idée du Anderson nouveau, c’est d’avoir évité l’écueil du conte pour enfants transposé en tant que tel, évacué de tout enjeu qui pourrait prétendre à l’universel. Pas de risque ici : Fantastic Mister Fox pourra plaire à tout le monde, grâce à une ironie cinglante et un dénouement certes orthodoxe mais délesté de la morale bienveillante qui plombe trop souvent les productions supposées à destination des petits. Le pitch ? Lassé de sa vie de renard rusé mais amoral, Mr. Fox décide de se ranger des voitures après un coup foireux qui lui a valu la prison. Devenu rédacteur pour un canard local, le renard le plus "classy" du monde reprend cependant bientôt du service, quand trois fermiers peu scrupuleux s’installent à proximité de son domicile. Bien décidé à tirer profit de leur aisance scandaleuse, il embarque ses potes cochon et taupe pour un dernier coup de maître…
Ce qui domine joyeusement Fantastic Mister Fox, c’est la bonne part d’humanité donnée à toute la basse-cour andersonienne, en même temps qu’une bestialité assumée ne quitte jamais les personnages : un Fox dandy comme pas deux au complet-veston de flanelle taillé sur mesure en toute occasion, Madame Renard (Meryl Streep, géniale même quand on n’entend que sa voix) très desperate housewife mais à qui on ne la fait pas, taupe pataude et attachante ou encore belette finaude à mort, tous les personnages ont franchement la classe et dépassent de trois têtes tout le bestiaire Disney. Avec des traits et expressions pourtant très naturalistes, tous cumulent un certain sens du style qui les emmène loin des mignonnes bestioles de films pour enfants. La patte Anderson, of course, qui, de Darjeeling à New York ou Paris, trimballe toujours, il faut bien lui donner ça, un raffinement démesuré sur pellicule. Heureusement, aucune prétention branchée à l’endroit de Mister Fox : l’extraordinaire technique vintage d’animation (des marionnettes confectionnées à la perfection et animées en stop-motion, à la main, plan par plan et poil par poil) ici employée témoigne trop d’un amour de Wes Anderson pour une certaine audace pour laisser le film devenir un simple ticket d’entrée facile à Sundance.
Car il y a une myriade d’instants presque suspendus, en tout cas de géniale inventivité, qu’il faudrait relever : la première apparition de Fox négligemment adossé à son arbre, promesse d’un personnage central délicieusement snob, une course-poursuite effrénée dans une canalisation d’égout, ou encore, et surtout, un baiser échangé devant une cascade d’eau souterraine qui viendrait presque ridiculiser La Dolce Vita et sa fontaine de Trevi. Tout cela, Fantastic Mister Fox le doit encore une fois à sa très belle animation, qui ne rappelle rien de vu jusqu’à présent, et donne au film sa plus grande qualité : une impression perpétuelle d’artisanat, mais un artisanat qui serait stylisé juste ce qu’il faut pour donner envie d’y croire. Une eau faite de cellophane éclairée par l’arrière, du savon à la glycérine sculpté et taillé pour le feu, des plumes qui s’envolent, et c’est tout un monde fantaisiste miniature qui prend forme sous nos yeux. Magie réjouissante.
Pour autant, il ne faudrait pas oublier qu’une telle maîtrise technique ne saurait prendre le pas sur un dandysme mélancolique de bon aloi qui emmène les films de Wes Anderson, celui-ci en tête, au-delà des comédies existentialistes branchées que certains ne manquent pas de lui reprocher. Un dandysme mélancolique donc, qui sied parfaitement au teint de ce renard lassé des arnaques, qui finit par s’ennuyer de l’adrénaline que lui procuraient ses coups bas. Un renard un peu désabusé, en somme, qui continuerait de vivre dans l’idéalisation forcenée d’une jeunesse rêvée et déjà passée. C’est peut-être la plus belle réussite de ce Fantastic Mister Fox, que d’avoir su conjuguer dans un même élan petites douleurs et turpitudes, et spectacle mirifique de tous les instants. Et si quelques joutes verbales auraient pu encore gagner en causticité, certaines séquences s’éloigner un peu plus d’une certaine imagerie d’Epinal, le film de Wes Anderson ne manque pas de verve, ni d’élégance. Pas de regret, non, vraiment.