Exposition Stanley Kubrick

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Tout tout tout, vous verrez tout de Stanley Kubrick à la Cinémathèque française.

Evénement de la saison à la Cinémathèque française : la station française de l’exposition Stanley Kubrick. Organisée par le Deutsches Filmmuseum de Francfort, les Stanley Kubrick Archives de Londres, Christiane Kubrick et le producteur Jan Harlan, elle sillonne les villes depuis 2004. Après Francfort, Berlin, Melbourne, Zurich, Rome et les beaux espaces de la chapelle du Caermersclooster de Gand, les saintes reliques arrivent à Paris avant de conquérir le monde. La Cinémathèque s’emplit d’objets et de décors, de documentation, d’extraits de films et d’effets personnels. Pour le plaisir des fétichistes ?

L’exposition s’ouvre joyeusement sur la chaise de tournage du réalisateur soclée et bien au chaud derrière sa vitrine. Pour un peu on s’attendrait presque à voir apparaître sa face sur l’illustre trône, tel un suaire que l’on peut adorer. Sur deux étages, l’exposition suit un parcours globalement chronologique depuis les premiers documentaires peu connus de Kubrick jusqu’à son ultime film. Une organisation qui refuse donc d’emblée tout regard transversal sur l’œuvre du maître, la réflexion n’étant clairement pas le propos ni l’ambition de l’exposition. Pour chaque film est réuni un ensemble de photos de tournage, documents de promotion et de préparation du film, des extraits et leurs commentaires – dont la plupart sont issus du documentaire Stanley Kubrick: une vie en images de Jan Harlan disponible en dvd depuis 2001, bonjour l’exclu ! A partir de Spartacus on découvre aussi des éléments de décors et des costumes.

A l’arrivée, on frôle l’overdose. Les espaces déjà exigus de la Cinémathèque sont remplis à la gueule d’objets à l’intérêt plus que variable. Globalement comparée aux précédentes éditions, l’exposition s’est ici un peu appauvrie, par manque de place très certainement. On n’a d’ailleurs pas nécessairement conservé le plus intéressant. Il manque notamment le mur d’écrans qui ouvrait l’exposition de Gand : douze écrans juxtaposés montraient chacun un extrait depuis Le Baiser du tueur (1955) jusqu’à Eyes Wide Shut (1999). Si l’ensemble était plus illustratif que réflexif, l’effet était saisissant. De même, le parcours à Gand était moins fermement chronologique. La chronologie orientait l’ensemble, mais des passages entre les films étaient ménagés et permettaient de mesurer la cohérence de la production de Kubrick, la réapparition de certains motifs ou thématiques qui n’apparaissent plus ici dans une vision chronologique stricte.

 

Tout ce qui touche à la production des films est fascinant car permet d’approcher les méthodes de travail d’un réalisateur dont la maniaquerie névrotique est tout sauf un mythe. Plans de tournage, scénarios annotés (dont celui en fac simile de Docteur Folamour intégralement consultable pour le visiteur), dessins préparatoires, plans de tournage… sont autant d’éclairages neufs sur la filmographie de Kubrick. Plus problématique est la présentation des décors et costumes des films qui frôle, à plusieurs reprises, dangereusement l’anecdotique. Coincé dans un angle, deux costumes et un buste viennent illustrer Spartacus. Evidemment l’objet est moins montré pour lui-même que pour ce qu’il représente : transformé par son passage à l’écran, ce n’est pas l’objet qui est exposé, mais le symbole de ce qu’il représente dans le film. Avec lui, il s’agit d’emmener le visiteur dans un hors-champ auquel le spectateur n’a pas accès. C’est en partie le but d’une exposition de cinéma qui n’a pas d’« œuvres » à présenter. Pour reprendre les termes de Dominique Païni, le lieu d’exposition naturel du film, c’est la salle de cinéma. L’exposition est donc condamnée à trouver une approche différente qui se résume malheureusement ici à la pure présentation matérielle.

Si la présentation de la maquette de la War Room de Docteur Folamour voisinant les esquisses du décor fait sens, on se demande encore l’intérêt de la présentation de la machine à écrire de Shining ou du fœtus en plastique de 2001 L’Odyssée de l’espace suspendu au plafond. Cette fascination sans borne pour l’unicité de l’objet n’apporte finalement rien à l’œuvre, au film, si ce n’est parfois une dose de ridicule. Et le canapé de Lolita, c’est le vrai ? Et les bouteilles de coca vide, ce sont les vrais ? Et les sucres d’orge… Non bien sûr, la plupart du temps il s’agit de reconstitutions comme pour le Korova Milk Bar d’Orange mécanique. Sans parler de la présence au-delà de l’inutile de l’échiquier du maître et du tambour militaire dont il joua quand il fit parti d’un jazz band. Ce qui sous-tend l’exposition semble être une volonté de patrimonialisation claire de la figure de Kubrick par ses organisateurs (rappelons-le la femme de et le producteur de). On se demande bien ce que le réalisateur, plutôt dramatiquement secret, en aurait pensé.

 

"It’s impossible to tell you what I’m going to do except to say that I expect to make the best movie ever made." (1)

Reconnaissons tout de même quelques vertus à l’exposition. A plusieurs reprises, elle tente des points sur la technique que Kubrick a constamment aidé à perfectionner via ses films. On y croise le sérieux le plus rébarbatif d’une monotone vitrine présentant des objectifs – qui mêlée à des extraits de films utilisant lesdits objectifs se serait révélée un dispositif éducatif formidable – au ludique qui bascule ici dans le démagogique d’une installation montrant un système de rétroprojection utilisé pour 2001 L’Odyssée de l’espace. Plus intéressants, les premiers travaux photographiques pour la presse malencontreusement relégués dans un étroit couloir au dernier étage là où leur place naturelle aurait été à l’entrée de l’exposition. Dans ces clichés pris lors de matchs de boxe ou montrant des visages anonymes à l’annonce de la mort de Roosevelt, on trouve déjà le regard si particulier de Kubrick sur l’homme, de même qu’une acuité du cadrage.

Clôturant l’exposition, les « projets fantômes » valent à eux seuls le déplacement et la sauvent de son vide réflexif. On y découvre la documentation de Kubrick autour de films non réalisés : Napoleon, Aryan Papers et d’A.I. Le travail préparatoire accompli pour Napoleon entre 1968 et 1973 est hallucinant. Une bibliothèque entière d’ouvrages amassés et compilés par le réalisateur, des tonnes de fiches, des recherches sur les costumes et un plan de tournage arrêté. Le tout abandonné par la frilosité des studios au vue de l’ampleur du projet et la volonté de Kubrick de tourner en éclairage naturel – comprendre à la bougie – contredite par les possibilités techniques de l’époque (2). Un magnifique catalogue (publié en 2009 et republié cette année) reprend la documentation et ravira les inconditionnels du maître. On découvre enfin les superbes esquisses réalisées pour les décors d’A.I. qui sera finalement réalisé par Spielberg (A.I., Intelligence artificielle, 2001).

Au final, l’exposition apparaît bien décevante face à l’ampleur du travail du réalisateur. La seule présence d’objets ne suffit à créer la réflexion. Il est excessivement triste de constater que les rares éléments suscitant de l’intérêt étaient déjà visibles dans la publication des archives du cinéaste chez Taschen. L’exposition montrant souvent des fac-similé, le résultat est donc proche. D’autant plus dommage est l’éviction des rares pistes de réflexion présentes dans les éditions précédentes : quelques pistes sur les sources d’inspiration de Kubrick, des montages de photogrammes montrant des regards caméras des différents personnages des films et quelques bons textes explicatifs. Plutôt que de se noyer dans l’exiguïté du 5e étage, on ne peut que conseiller de filer vers la deuxième partie de l’expo au 7e et de prendre le temps de regarder le formidable documentaire sur la musique chez Kubrick. En une bonne demi-heure, il fait une présentation des films d’un point de vue musical, de sa fine utilisation en vue non seulement de renforcer les séquences mais surtout comme participant directement de la signification complexe, émotionnelle et probablement inépuisable des films du maître. On pourra aussi se rattraper avec la rétrospective jusqu’au 25 mai et la programmation autour de l’exposition. Une bien maigre consolation…

Exposition Stanley Kubrick du 23 mars au 31 juillet 2011.
Cinémathèque française, Paris 12e
L’intéressante exposition virtuelle sur le site de la Cinémathèque française.

(1) « Il m’est impossible de dire ce que je vais faire si ce n’est que j’espère faire le meilleur film jamais réalisé. »
(2) Lord de l’exposition de Gand, le projet Napoleon était immédiatement suivi par la section sur Barry Lyndon (1975) tourné à la lumière des bougies grâce à des recherches entreprises avec la NASA qui aboutirent à la création de l’objectif Carl Zeiss.


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