Hayuta et Berl ont le malheur d’être la mémoire d’un pays amnésique, d’un Etat qui veut absolument aller de l’avant, et vite. Amir Manor nous décrit un pays où les anciens continuent de rêver alors que les modernes se sont résignés. Les pionniers morts, on en fait des statues, des noms de rues ou d’écoles, mais les pionniers encore en vie, comme ces deux vieux, qu’est-ce qu’on peut bien en faire ? Pas grand-chose, si on en croit ce que l’on voit à l’écran. Socialistes dans un pays capitaliste où la Coopérative est une chaîne de supermarchés, partisans de la main tendue dans une société individualiste, Hayuta et Berl ne sont plus en phase avec ce pays qu’ils avaient rêvé. Jusqu’à se sentir comme des poids aux pieds d’une communauté trop pressée pour les écouter. Le buste de Lénine prend la poussière sur les étagères et les livres des penseurs sionistes se bradent chez les bouquinistes. Le temps des kibboutzim est à présent bien loin, relégué au rang de folklore local.
Car le réalisateur n’est pas tendre avec son pays, selon lui traître à ses idéaux originels, leur préférant désormais l’économie et le profit. Comme tout militant cherchant à tout prix à convaincre son auditoire, il lui arrive parfois de forcer le trait au risque de perdre son attention. Hayuta et Berl ont la sensation de n’être rien de plus que des parasites ; utiliser le principe du champ / contrechamp dans leurs conversations avec les autres, choisir de ne pas les réunir dans le même cadre aurait été suffisant pour exprimer cet isolement et ce décalage. Mais le réalisateur veut que son message soit audible au risque de le rendre à certains moments assourdissant. Alors Berl se renseigne sur les différents pesticides permettant d’éliminer les parasites en les éloignant, alors une employée de l’administration leur impose une visite médicale dégradante les forçant notamment à se déshabiller, alors on brûle des livres pour pouvoir se chauffer.
Film en couleurs qui décline plutôt une centaine de nuances de gris, Epilogue ne se défera pas de l’atmosphère crépusculaire qui plane dès le commencement. Vitres cassées de l’immeuble, murs lézardés et rideaux défraîchis de l’appartement, tout préfigure la mort à venir. Un rayon de soleil n’aurait en rien porté atteinte au propos.