Entretien avec Merhdad Oskouei

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Pour la sortie de son dernier film, troisième documentaire de sa trilogie carcérale, rencontre avec le réalisateur iranien Merhdad Oksouei qui revient sur la situation de ces jeunes filles et celle d’un monde aux rêves sans étoiles…

À quel point le cinéma de Wiseman a été important pour vous ?

Il y a plusieurs cinéastes qui m’ont influencé, parmi lesquels Wiseman, mais je peux aussi citer d’autres réalisateurs qui ont eu une influence plus importante encore : Robert Bresson, Jean Rouch, Yasujiro Ozou, Abbas Kiarostami, entre autres.Par ailleurs, votre film peut faire parfois penser au Into the Abyss de Herzog, notamment dans la façon où vous interrogez très directement ces jeunes filles, vous allez au bout des questions et vous n’hésitez pas à leur poser des questions très profondes…

J’aime beaucoup ce que fait Herzog mais je ne suis pas véritablement dans la même optique de travail. Cette démarche, où je pose des questions importantes aux personnes que je film, est la même depuis 20 ans et vient en réalité d’un travail plus ancien.

Comment avez vous gagné la confiance de ces jeunes filles ? Combien de temps êtes vous resté avec elles ?

Je n’ai pas eu beaucoup de temps avant le tournage pour véritablement nouer une relation avec ces jeunes filles. Ce n’est que lorsque j’ai eu l’autorisation de tourner que j’ai véritablement pu entrer en contact : seulement deux jours avant le tournage, on a pu se rendre dans le centre pour rencontrer ces jeunes filles. Au total, on a tourné pendant vingt jours, disséminés sur trois mois de tournage. Pour ce qui est de gagner leur confiance, je leur ai tout raconté sur moi même : qui j’étais, de quelle famille je venais, combien de fois j’ai pu tomber amoureux, mes succès, mes échecs, le fait qu’à l’âge de 15 ans j’ai tenté de me suicider, et tout ce qui pouvait les éclairer sur ma personnes. C’est après qu’elles m’ont demandé pourquoi je voulais faire ce film sur elle et je leur ai répondu « pour éviter qu’il n’y ait plus de filles dans ce centre à l’avenir ». Et c’est à partir du moment où je leur ai dit que j’avais une fille du même âge qu’elles et que ma volonté de faire ce film venait de là qu’elles ont acceptée ma présence.

Le personnel du centre peut parfois se montrer très dur avec ces filles, jusqu’à les considérer comme des « problèmes » et on ne vous voit pas les interroger. Que pense le personnel de tout ça ?

L’important quand on fait un documentaire est de savoir de qui on veut parler, de quoi on veut parler, et comment le faire. Les documentaristes qui veulent à tout prix parler de tous les aspects d’un sujet n’y parviennent pas. Ce qui m’importait, c’était de montrer ce qui se passait à l’intérieur de ce centre, c’est pourquoi je n’ai pas voulu entrer en contact avec le personnel. J’ai cependant constaté que celui-ci était à la fois très proche dans leur rôle mais qu’ils éprouvaient la nécessité de garder une distance pour ne pas nouer une relation plus personnelle. Mais mon film n’est pas sur le fonctionnement du centre, mais essentiellement sur ces jeunes filles.

D’ailleurs, ces jeunes filles se retrouvent souvent là après avoir imité leurs parents, et la plupart d’entre elles ont déjà des enfants, c’est ce que racontait un jeune garçon de 10 ans à la fin des Derniers jours de l’hiver qui parlait de ses parents, grand-parents et ancêtres, tous voleurs. Comment arrête-t-on la boucle ?

Il est très difficile dans ces milieux défavorisés d’arrêter ce cycle. Il faut que ce soit un élément extérieur qui viennent sortir les enfants de ce cercle vicieux. Les ONG peuvent par exemple apporter une aide en instruisant les enfants, en leur permettant de s’ouvrir sur autre chose.

Dans votre film, une des jeunes filles parvient à sortir du centre grâce à l’aide de sa famille. Ce n’est donc pas, au contraire, aux familles, même si elles sont en partie responsables, de les sortir de ce cycle, ou d’au moins essayer de le faire ?

Ce serait idéalement à la famille de fournir l’aide nécessaire mais étant donné les conditions dans lesquelles elles vivent, elles ne peuvent pas l’apporter en réalité : la misère sociale, matérielle et intellectuelle les en empêche. Il faut que, justement, les enfants sortent de ce milieu, ce qui implique de sortir du cercle familial.

Vers la fin du film, un imam évite les questions des jeunes filles à propos des inégalités hommes/femmes en invoquant la « société »…

Les questions posées par les jeunes ont été très déstabilisantes pour ce religieux. Il m’a confié par la suite, que les jeunes filles posaient des questions auxquelles il n’avait pas de réponse. Il estimait qu’il était plutôt là pour leur apporter un calme, une présence, tout en leur rappelant certaines règles de notre société, aussi inexplicables soient-elles.

Vous aviez filmé des garçons dans votre film précédent Les derniers jours de l’hiver, pensez-vous qu’il y ait une différence entre ceux-ci et les jeunes filles que l’on voit dans Des rêves sans étoiles ?

Des rêves sans étoiles est le troisième volet d’une trilogie consacrée à la prison : les deux films précédents portaient effectivement sur des garçons mais ils avaient moins de 13 ans. En cela, ils avaient, certes, des préoccupations et des soucis de garçons, mais surtout des soucis d’enfants. Et la différence principale était que les mineurs des films précédents étaient incarcérées pour des raisons moins grave qu’ici, ce qui rendait leur réinsertion plus facile. Là, ces jeunes filles ,qui sont un peu plus âgées, ont beaucoup plus de mal à retourner dans leur familles car ces dernières profitent de leur incarcération pour couper tout lien avec elles, considérant leurs actes comme beaucoup trop graves pour êtres pardonnés.

On constate aussi que ces jeunes filles ne sortent pas une seule fois de la prison alors que les jeunes garçons vont, eux, ont le droit de voir la Mer Caspienne…

En réalité, il est difficile d’organiser des sorties avec les jeunes filles. Et si j’avais filmé une sortie dans Les derniers jours de l’hiver, c’était parce que dans It’s Always Late for Freedom, le premier film de cette trilogie carcérale, il était question d’une sortie que je n’ai pas pu filmer. Au delà d’un milieu carcéral plus ou moins différent, je voulais relier ces trois films en les réalisant tous au cours de la même période : juste avant le nouvel an Iranien, aux « derniers jours de l’hiver »…

Après avoir montré la délinquance des jeunes garçons, puis celle des jeunes filles, quelle est la prochaine étape ?

J’ai terminé un nouveau film il y a quelques semaines à propos de trois mères et trois filles, emprisonnées dans le même centre que Des rêves sans étoiles pour avoir assassinée leur mari ou leur père avec la complicité de l’une et de l’autre. Ensuite, j’ai un autre projet sur la prison qui s’intéressera à des mineurs de moins de 16 ans qui se réunissent pour choisir, parmi eux, un délégué via des élections. Après ces deux films, je passerai à autre chose. Avant toute chose, je veux surtout être un cinéaste qui transmet la parole de ceux que l’on entend pas, je veux être un porte-parole ! C’est pour cela que je m’intéresse à ceux qui subissent la violence mais qui ne savent pas forcément l’exprimer. Le sujet de mes films, qu’ils soient carcéraux ou non, en Iran ou au Moyen-Orient, portent tous là dessus.

En réalisant ces films, vous exercez une fonction cathartique pour ces personnes…

En fait, je veux surtout faire prendre conscience au spectateur la vie des personnes que je filme, et, en quelque sorte, les responsabiliser en tant qu’adulte face à ces images et à ces gens qui souffrent. J’espère contribuer un minimum à une amélioration de l’état du monde par mon travail, aussi minime soit elle. C’est certainement un point de vue idéaliste, mais je suis certain que si tout le monde exerçait une forme de responsabilité envers son prochain, on pourrait améliorer les choses dans ce monde. C’est cette mission humaine que l’on a pas vraiment rempli : ça explique l’état du monde aujourd’hui avec Trump par exemple… Les banques et les dirigeants contrôlent la plus grande partie de notre société : elle se concentre dans les mains de peu de personnes. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui pour certaines personnes, avoir une vie digne, une vie simple, n’est qu’un rêve ou un lointain espoir.

Idéalement, vous aimeriez ne plus rien avoir à filmer !

Malheureusement, je pense que ma vie entière ne suffira pas pour régler toutes ces choses ! Tant que l’humanité existera, il y aura des combats à mener pour une vie meilleure. Par ailleurs, je pense que cela doit venir des peuples, et non des puissants : après tout, Trump a été choisi par les américains¹… Les changements doivent venir des peuples eux-mêmes, il ne faut pas compter sur ceux qui dirigent ce monde ! Personnellement, je ne me considère pas comme un activiste ou un féministe par exemple, je suis simplement un passeur, le lien entre les personnes que je filme et les spectateurs, en espérant pouvoir transmettre de la meilleure manière possible les témoignages et les vies que je filme vers ces personnes qui auront l’initiative de vouloir changer la situation.

¹ Il parait important de nuancer cette remarque : Clinton a remporté le vote populaire avec 2,9 millions de voix d’avance sur Trump, ce dernier accédant à la Maison Blanche uniquement grâce aux vote majoritaire des 538 grands électeurs du collège électoral.


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