Le film repose sur un scénario fort et très bien écrit, mais on a une impression de naturel. D’être guidé par le caractère imprévisible des événements, comme dans un documentaire. Comment avez-vous fait pour réussir à combiner ces deux dimensions ?
C’est l’une des choses principales que j’ai faite. Choisir justement cette école, les élèves que j’avais eus en classe. Je savais qui je pouvais prendre car ils possédaient une véritable énergie. Mon expérience d’enseignant m’a permis de savoir comment fonctionne une classe, quels sont les problèmes rencontrés. J’ai écrit le rôle pour Asher Lax, tout ce qu’il dit ce sont des mots qui lui appartiennent au quotidien. Je l’ai mis dans des situations où je savais que les sentiments qu’il allait exprimer seraient authentiques et vrais. Je ne l’ai pris pour qu’il interprète Hamlet, mais pour qu’il joue ce qu’il connait. Je savais qu’il allait pouvoir exprimer sa violence, sa fragilité et des émotions plus fines. Le côté naturel vient également du fait que chaque scène a était tournée sans interruption du début à la fin. Rien n’est fragmenté. Cela contribue à l’énergie naturelle des scènes.
Avez-vous laissé une grande part aux imprévus, à l’improvisation lors du tournage ? Je pense notamment aux scènes de classe.
Non. A part une scène où le père nourrit les poules. A ce moment là j’ai demandé à l’acteur d’exprimer son amour pour son fils. J’ai senti qu’il fallait plus de tendresse. Sinon, pour chaque scène tout était écrit.
Asher Lax n’est pas un acteur professionnel. Sa spontanéité est sa force. Mais au cinéma, plus on répète une scène plus il est difficile de rester naturel. Comment avez vous procédé pour gérer ce paradoxe ?
En fait, je l’ai amené dans un état où il ne devait pas réfléchir. A partir de l’instant où il commence à penser, il peut se tromper. Il peut mélanger des choses. Je lui ai donné beaucoup de confiance. Je lui ai fait comprendre que ce n’était pas grave s’il se trompait. Quoi qu’il fasse ça serait bon. Il me croyait et avait confiance en moi. Il me comprenait. Je me souviens de scènes difficiles qui fonctionnaient bien en répétition, au moment du tournage je voulais retrouver cette intensité, et là, parfois cela réussissait, parfois non.
Asher est un jeune homme très attachant. La fin du film reste très ouverte, on a envie de savoir comment il va évoluer dans son existence. Avez-vous pensé à suivre son parcours, sur plusieurs années, avec d’autres films, un peu comme Antoine Doinel pour François Truffaut ?
Oui, tout à fait, je veux essayer de creuser ce personnage et voir son mystère, ses contradictions. Je veux l’amener dans une autre époque de sa vie, devenir un jeune homme. construire une famille. J’espère que l’on va pouvoir continuer.
Il n’y a pratiquement pas de scènes qui se déroulent hors du cadre de vie étroit des personnages (école, travail, stade…). Cela signifie-t-il qu’ils ne se sentent pas concernés par un environnement économique et social plus large ?
Ce thème, j’essaye de l’ exprimer plus particulièrement par le père. Cette envie de restreindre le monde, de le limiter. Par exemple, dans les scènes tournées dans l’appartement, il n’y a pas de livre, pas de disque, pas de tableau. Il n’y a rien qui relève de la culture. Et, parallèlement, je montre que le professeur lui construit un monde de culture. Je montre également la curiosité naturelle d’Asher. Il veut savoir ce que les gens ont chez eux.
Vous filmez également le plus souvent en plan rapproché. C’est pour mieux souligner cette forme d’enfermement ?
Pour moi, la force d’Asher est dans ses yeux. C’est une carte que j’utilise pendant tout le film. C’est également un processus que je développe davantage après la disparition de l’enseignant. Je veux être plus proche d’Asher pour ressentir son inquiétude et son envie de se libérer.
Ces élèves ne portent pratiquement aucun intérêt à la culture (littérature, histoire…). Le système scolaire classique est-il aujourd’hui dépassé pour faire face aux nouvelles générations ? Ces jeunes habitués au zapping, scotchés à leurs portables. Cette question s’adresse également à l’enseignant que vous êtes.
En fait, je fais entendre mes propres craintes, mes angoisses par les mots du père qui dit que dans quelques années on enseignera plus la littérature, que c’est quelque chose qui est mort. Je l’exprime à travers l’enseignant qui se demande pour quoi il est là. Quel est les sens de son travail devant cette classe. Je ne suis pas d’accord avec vous quand vous dites que les élèves ne s’intéressent pas à la littérature, à l’histoire. Aujourd’hui, l’enseignant doit savoir comment les intéresser, car le monde émotionnel des enfants veut savoir. L’enfant veut connaitre et toucher des choses qui sont au-dessus de lui.
La communication est également très difficile entre le père et le fils. D’une manière générale, constatez-vous une crise de transmission familiale des valeurs, de la culture, en Israël ?
C’est une question très complexe. Ce n’est pas une réponse qui me vient spontanément. Il y a beaucoup de choses qui se passe dans la société israélienne aujourd’hui. C’est une époque où la situation économique est plutôt bonne, mais tout le monde n’en profite pas. Il y a ce phénomène de départ d’un grand nombre d’israéliens vers l’étranger. Ce n’existait pas dans les mêmes proportions dans le passé. Il me semble également que se développe un matérialisme extrêmement agressif. On peut le voir dans les émissions de téléréalité. Aujourd’hui, les parents se trouvent dans un système difficile.
Les destinées d’Asher aborde certains thèmes d’Entre les murs de Laurent Cantet, Palme d’or à Cannes en 2008. Avez-vous pensé à ce film en préparant le votre ?
Bien sur que j’étais conscient de l’existence de ce film. Je l’ai d’ailleurs revu. Il y a beaucoup d’aspects que j’aime, notamment les relations entre professeurs et élèves. Dans Les Destinées d’Asher, j’ai essayé d’aller vers plus de sensibilité et d’émotion. C’est pour cette raison que j’ai choisi comme point de vue celui du personnage principal, celui d’un « enfant » de dix sept-ans.