Entretien avec Fernando Solanas

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« Mon film propose un travelling sans cesse »

Le célèbre cinéaste Fernando Pino » Solanas a présenté son dernier documentaire « Viaje a los pueblos fumigados » lors du festival international de la Berlinale 2018. Un voyage d´investigation pour en savoir plus sur la contamination de la nourriture. »
Quel était le moment plus émouvant lors du tournage? Face à ces réalités horribles, je suis resté sans mots, surtout quand les gens te confessent quelque chose de très intime en pleurant. Dans mon film il y a plein de moments émouvants. Le premier est quand ils font tomber les arbres. J’adore les arbres. Ou ce cacique qui nous racontait qu’ils ont détruit la moitié de son cimetière. Ces natifs vivent dans la forêt, chassent les animaux et mangent des fruits. Quand on leur enlève la forêt, on les expulse littéralement. Ils n’ont plus de nourriture. Les terres où les natifs ont vécu depuis toujours sont aujourd’hui vendues. Ensuite le nouveau propriétaire détruit les arbres millénaires pour semer du soja transgénétique ou le maïs.

Dans votre film, nous retrouvons le monde indigène au début et à la fin. Quant à eux, il y a, surtout en Europe, une mystification de leur sagesse, comme si c’était du folklore. Y-a-t-il un double discours?

De l’est jusqu’à l’ouest du pays on continue à semer le soja. Ce n’est pas fini. Le cacique nous raconte que les expulsions continuaient en détruisant la forêt. L’eurocentrisme regarde la périphérie du monde avec des yeux de colonisateur. C’est comme si l’homme européen pensait que les choses existent parce qu’il les a découvertes. Hollywood réécrit l’histoire universelle avec ses films. L’héros est toujours un américain. L’Américain n’est jamais le traitre, l’assassin ou l’idiot. Au mieux les Africains, Asiatiques et Latino-américains sont des bons types, mais sans vraie valeur. La raison est toujours du coté des Américains, généreux et intelligents. Le cinéma est important car il offre des images aux peuples. La littérature nous donne aussi des images, mais il est beaucoup plus frappant de voir la vie. Le cinéma nous permet de filmer tous les moments de la vie, les monter en séquence et les rendre éternelle. Dans 100 ans encore on pourra regarder ces moments-là et ressentir toutes les émotions qui vont avec. C’est pour cette raison que le cinéma est le seul art qui s’apprête à défier la mortalité.

Vous avez fait des fictions avant de faire depuis des années des documentaires. Le documentaire est-il encore plus propice à immortaliser les moments de vie?

Un écrivain écris des poèmes, des romans, et aussi des articles de presse et des essais. Pour moi, dans le cinéma c’est exactement pareil. C’est l’art de regarder. Ce n’est pas le scénario, même s’il est très important dans la fiction. Mais la fiction est juste une des formes possibles. Nous pouvons penser aux films muets qui travaillent avec les associations entre images et sons. Si tu fermes les yeux, il n’y a plus de cinéma. Ce qui est fondamental est le regard du réalisateur, comme s’il était un auteur d’images. Il faut regarder avec toute une série « d’oeils”, les yeux étant les objectifs de la caméra. Le cinéma artistique est un art plastique en mouvement. L’image a une charge émotive très grande quand elle émane du regard du réalisateur. Au contraire, si on filme pour un journal télévisé, il n’y a pas d’art cinématographique. Je décrirais mes films comme du “cinéma de fusion”, fusion de genre. Que veut dire documentaire? Les seules images documentaires dans mon film sont celles du début filmées sur un hélicoptère, concédées gracieusement par Greenpeace.

 


Au moment où il y a une interaction, ce n’est plus un documentaire?

Ce seront des images prises sauvagement sans aucun regard de réalisateur. À ce titre, dans mon film il y a les images des manifestations contre Monsanto. Monsanto voulait construire la plus grande usine en Amérique latine. Et les gens ont empêché ceci grâce à 3 ans de mobilisation et de manifestation. Dans mes films du cinéma de fusion, tous les genres seront mélangés. Il y a des images d’archives, d’autres ont été mises en scène. Chaque séquence du film a besoin d’un objectif et d’un language différent. Le travail du réalisateur est celui de l’inventer comme une oeuvre cinématographique. Le même scénario fait par mille réalisateurs donne mille films différents. Quel rythme donner à son film, quelles images utiliser, tout cela est décidé par le réalisateur. Mon film propose un travelling sans cesse. La caméra est toujours en mouvement. Dans des très rares moments, la caméra reste immobile pour une interview. Là aussi, j’ai ajouté des images qui renforcent ce que la personne dit. Le film Hiroshima mon amour d’Alain Resnais commence avec une fiction entre les deux personnages principales et vire ensuite au documentaire. Le récit de Marguerite Duras est comme un poème. Il y a un seul language cinématographique, celui d’un travelling infini.

Comme trouver de la poésie si on filme d’une actualité si frappante?

La poésie est dans le regard du réalisateur. Il est à la découverte des images et des personnages. Et ensuite il impose son rythme à la séquence et au film entier. Sur quelle musique se joue ce film? Les images et surtout la lumière transmettent une sensation, une ambiance. Tout est important pour la construction du film. L’intuition est la lanterne qui illumine la nuit. Nous sommes dans le noir, dans l’ignorance. Dans ce silence, nous allumons une petite bougie et nous pouvons enfin prendre un chemin. Le processus créatif n’est jamais une ligne droite. Il est impossible de tout prévoir d’emblée. Filmer est comme faire un voyage. La profession du réalisateur te donne des atouts pour faire face à l’imprévu. Mon film est un voyage pour répondre à la question suivante: Comment nous sommes contaminés par notre nourriture. L’alimentation est la base de notre santé. Comment est fabriqué notre lait, le pain? Notre organisme a eu besoin de milliers d’années pour développer des défenses face aux bactéries. Mais les produits chimiques sont tout nouveaux. Le corps est donc submergés par ces toxines, comme le glyphosate.

Que faire donc face à l’utilisation des produits chimiques au niveau mondial?

Un seul documentaire comme le mien n’est pas suffisant. La capacité d’oublier de l’être humain est immense. Nous essayons toujours d’oublier ce qui nous met mal à l’aise. L’impact de mon film dure peut être un, deux jours. L’objectif d’un film alors est de travailler avec des images tellement fortes, impossibles à oublier pour que le spectateur se lance à chercher lui-meme plus d’informations.


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