Entretien avec Chu Tien-Wen

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Dans les premiers films de Hou Hsiao Hsien et La cité des douleurs, à travers la situation concrète des gens vous évoquez l’histoire récente de Taïwan, pour « l’enlever des mains des politiciens » (pour reprendre une expression de Hou). Qu’est-ce que pour vous Taïwan, et qu’est-ce que pour vous un pays ? Les origines du peuple […]

Dans les premiers films de Hou Hsiao Hsien et La cité des douleurs, à travers la situation concrète des gens vous évoquez l’histoire récente de Taïwan, pour « l’enlever des mains des politiciens » (pour reprendre une expression de Hou). Qu’est-ce que pour vous Taïwan, et qu’est-ce que pour vous un pays ?

Les origines du peuple taïwanais sont très variées. Depuis la dynastie Qing, on compte environ sept vagues d’immigration. L’île a ensuite été occupée par les Hollandais, les Japonais, le gouvernement du Guomindang. Aujourd’hui, des femmes d’Indonésie, des Philippines et de Chine se sont mariées à des Taïwanais et sont venues habiter l’île. La population de Taïwan est composée de diverses strates. Taiwan est comme une pierre dont on peut voir les différentes strates.

Les films de Hou des années 80 racontent la vie quotidienne de Taïwanais appartenant à un milieu modeste, souvent rural. A cette époque, est-ce une urgence politique qui vous a poussés à raconter de telles histoires ?

Dans les années 50, à Taïwan on ne se préoccupait pas de politique, il n’y avait pas de lien entre littérature et société. C’est dans les années 70 que les écrivains se sont mis à parler de la réalité de leur pays. Mais à cette époque, le cinéma était très commercial et n’était pas intéressé par la réalité. Il faut attendre les années 80 et l’apparition de la Nouvelle Vague pour que les films évoquent les problèmes du petit peuple. Le cinéma avait du retard par rapport à la littérature. De nombreux cinéastes de la Nouvelle Vague ont fait des études à l’étranger, et c’est en revenant à Taïwan qu’ils se sont mis à regarder leur pays d’un regard critique et ont voulu en parler dans leurs films. Dans les films de Hou des années 80, les sujets des films, c’est la famille, les amis, la société, la vie quotidienne. Le public n’était pas habitué à voir ça, il a fallu lui parler pour qu’il comprenne ce genre de films.

Les films compris entre Les garçons de Fengkuei et Poussières dans le vent sont des récits d’adolescents confrontés à des expériences qui les font grandir. En quoi ces récits de formation vous ont-ils permis d’évoquer la situation de Taiwan ?

En fait, ces récits sont surtout liés à des histoires vraies. Les garçons de Fengkuei est inspiré de l’histoire de Hou. Les garçons de ce film sont sur le point de faire leur service militaire. Ils vivent une phase d’attente, d’incertitude, qu’ont connu tous les taïwanais de la génération de Hou. Poussières dans le vent est inspiré de l’histoire d’un ami scénariste qui raconte comment un garçon de la campagne perçoit la ville. Pour Hou, ces sujets étaient naturels.

Dans la scène finale de Poussières dans le vent, le garçon, A Yuan, se trouve avec son grand-père. La figure du grand-père est très importante dans les films de Hou. Les pères sont malades, absents, les enfants communiquent peu avec leurs mères… Est-ce du rapport générationnel dont Hou veut parler avec cette figure du grand père ?

Cela est lié à la vie de Hou Hsiao-hsien. Le père de Hou était un chinois continental qui a immigré à Taïwan. Il était malade et ne s’approchait pas des enfants pour ne pas leur transmettre sa maladie. C’est pour ça que, pour Hou, un père est toujours loin.

Un été chez grand père est inspiré de votre propre enfance. Qu’est-ce qui vous a poussée à revenir sur votre passé ? Pouvez-vous nous parler de ce film là ? Le scénario d’origine n’a été écrit ni par moi ni par Hou. C’était une histoire très simple. La mère est malade, et les enfants vont passer l’été chez leur grand-père. Ils jouent dans leur coin et le grand-père s’énerve quand ils font trop de bruit. Hou a aimé cette histoire. Mais pour la tourner il fallait rajouter des détails, et c’est ce qu’il m’a demandé de faire. On a tourné le film chez mon grand-père. Il y a aussi une femme folle dans ce film, et ce détail vient de ma propre enfance.

Parlons justement de ce rôle de la folle. Est-ce qu’à travers elle vous parlez de la situation des femmes taïwanaises ? Vous dites que vous avez aidé Hou à comprendre les femmes. Pouvez vous nous parler des personnages féminins de Hou ?

Hou ne connaissait que sa grand-mère, sa mère, sa femme et ses soeurs. Il n’avait pas beaucoup de lien avec les autres femmes. Les femmes dans ses premiers films ressemblaient aux femmes traditionnelles taïwanaises. A force de travailler avec moi et avec d’autres femmes dans le milieu du cinéma, il a davantage compris les femmes d’aujourd’hui et créé de plus en plus de rôles féminins.

Justement, vous n’avez pas travaillé sur Le voyage du ballon rouge, alors que deux des personnages principaux sont des femmes. Est-ce qu’aujourd’hui Hou est capable de comprendre les femmes ?

Si, j’ai travaillé pour Le voyage du ballon rouge! Mais je ne suis pas créditée au générique pour des raisons personnelles.

Dans les scénarios des films de Hou, on ne trouve pas ce qu’on attend traditionnellement d’un scénario : peu d’action, de dialogues, de progression du récit… Mais surtout, les personnages restent assez indéfinissables, on n’a pas l’impression de les comprendre davantage à la fin qu’au début. Ils sont surtout des corps et des regards, donc ce qui ne relève pas vraiment du scénario. Comment créez-vous des personnages qui échappent à une définition psychologique et qui changeront en fonction des acteurs ?

Pour créer un personnage, on prend le sentiment d’une personne réelle, l’histoire d’une autre… Le personnage est un mélange de différentes personnes réelles. Ensuite, quand les acteurs commencent à jouer, il y a beaucoup de choses à modifier pour trouver un moyen approprié aux rôles.

Si le scénario et les personnages évoluent pendant le tournage, est-ce que vous y assistez pour comprendre dans quelle nouvelle direction il faut aller ?

Pour les premiers films oui, j’ai assisté au tournage. Mais un tournage c’est trop long, il faut attendre trop longtemps. Maintenant je ne vais plus sur les tournages. Pour moi, le cinéma c’est la réalisation, le film, c’est le réalisateur. C’est raconter une histoire avec les images et des sons, c’est tout à fait différent de mon travail. Mon travail, c’est d’écrire des romans. Je n’écris des scénarios que pour gagner ma vie. De toutes façons, les réalisateurs ne regardent pas le scénario, il sert juste au personnel, au producteur, aux acteurs.

Vous dites que « les plus beaux films de Hou sont ceux dont il parle » et que les films sont toujours décevants par rapport à ce que vous imaginez avant. Vous qui êtes écrivain, est-ce que vous avez eu envie de travailler pour le cinéma ou juste de travailler avec Hou ?

Si j’écris un ou deux scénarios par an, je gagne assez ma vie et je peux me concentrer pour écrire mes romans. Avec Hou c’est facile parce qu’on se connaît depuis longtemps. Pour moi, la chose la plus importante dans la vie, c’est d’écrire des romans. Travailler avec d’autres réalisateurs serait trop difficile et trop long (Chu sourit.) Vous dites que le plus important, ce sont vos discussions avec Hou. Mais vous retravaillez quand même pendant le tournage…

Oui, Hou me raconte ce qu’il a réussi à faire, ce qu’il a raté, s’il a eu une nouvelle inspiration pendant le tournage, s’il a tourné quelque chose qui n’était pas prévu…

L’inscription des films de Hou dans la réalité taïwanaise et dans la pensée chinoise est très présente. Mais des cinéastes chinois font des films plus classiques, et des cinéastes occidentaux font des films qui se rapprochent de l’esthétique de Hou. Est-ce que le regard que vous portez sur le monde est dû à votre culture chinoise ?

En effet, lire des poèmes chinois, voir du théâtre chinois, est quelque chose de très naturel pour nous. Hou adore regarder de l’opéra traditionnel chinois. Son prochain film se passera d’ailleurs sous la dynastie Hang. Le rôle principal sera une femme assassine et il y aura du kung fu. C’est un écrivain chinois qui est en train d’écrire le texte. Le tournage commencera l’été prochain, en Chine, parce qu’à Taïwan il n’y a pas de paysages appropriés.

Pensez-vous qu’une des qualités principales d’un scénariste est d’avoir de l’imagination ou de percevoir avec finesse comment fonctionne l’être humain ?

Il faut d’abord observer les choses très correctement. La base d’un scénario, c’est l’observation. Par exemple pour Millennium Mambo, on a passé beaucoup de temps avec les jeunes dans les boîtes de nuit, à les regarder, leur parler. On est des anthropologues, on fait des enquêtes sur le terrain. Mais savoir observer ne suffit pas pour être un bon scénariste, ou un bon réalisateur. Il faut beaucoup travailler, refaire, pour savoir le mettre en forme.

Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui veut devenir scénariste ?

Il n’y a pas vraiment de conseil. Il faut voir beaucoup de choses, et après c’est comme en peinture, on fait un dessin correct, qui correspond à l’image du réel. Il faut commencer par un sujet qui vous est familier, c’est plus facile à mettre en forme, c’est la base.

Propos recueillis par Marion Pasquier (Critikat) et Francesco Capurro. Un remerciement particulier à Mme Cho-Pei KAO (Chargée de mission, Arts de la scène, Centre Culturel de Taiwan à Paris) et Mme Liu Li (directrice du Centre Culturel de Taiwan à Paris)


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