Un décor à la Bilal
Il semblerait que le huitième long métrage de Pablo Larrain, à qui l’on doit pourtant de si beaux films comme Fuga en 2006, No en 2012 et Jackie en 2016, ne soit pas une vraie réussite. De son propre aveu, il a voulu faire un film sur l’adoption et, même si ce thème accompagne toute cette histoire, on ne peut pas dire qu’il soit traité de manière sociétale, voire morale. Le thème de l’adoption n’est ici qu’un prétexte pour dresser le portrait d’un groupe de néo-féministes chiliennes de Valparaiso et d’un jeune chorégraphe campé par un Gael García Bernal terne et absent. C’est en fait surtout l’occasion de faire le portrait de Mariana Di Girólamo Arteaga qui campe ici le personnage d’Ema mais c’est raté. On a l’impression souvent de se retrouver dans une mauvaise adaptation d’une bande dessinée d’Enki Bilal, avec des prises de vue sur une ville en train de devenir futuriste (même si l’hommage au court-métrage de Joris Ivens réalisé en 1962, A Valparaiso, est palpable presque tout du long) et ses images de femmes pour lesquels les maquilleurs et coiffeurs ont répété à l’envi les symboles mêlant à la fois l’égyptologie, la punk attitude et le no future chers aux années 80.
Ceci n’est pas un film sur la danse
Ceci étant dit, Ema se laisse regarder même si, tout du long, on ne cesse de se demander quel est le propos du réalisateur. Oscillant sans cesse entre des scènes de danse qui nous permettent en fait de nous familiariser avec le reggaeton, des scènes érotiques répétitives, et des scènes de rencontres de personnages qui n’ont rien à voir entre eux, comme ce pompier plutôt beau gosse avec une punkette en mal d’enfant, le film nous donne le tournis, mais un tournis à vide. Mais c’était sans se douter que ce long-métrage, sans doute inspiré par ceux d’un autre Latino-américain, Alejandro González Iñárritu, lorgne en fait vers le film choral puisque c’est seulement à la fin que cette histoire d’adoption devient prétexte à donner à un enfant adopté deux pères, deux mères et une petite soeur ! Il faut avouer qu’on frise parfois le ridicule et l’imbroglio, puisque le film, vers son milieu, laisse son spectateur en rade comme s’il ne lui donnait plus les cartes pour se retrouver dans cet univers sans GPS. Bien sûr, on pourrait aussi aller chercher des influences du côté du cinéma européen, notamment Théorème de Pier Paolo Pasolini, que le réalisateur ne réfute pas non plus, mais ce serait accorder un peu trop d’importance au personnage d’Ema que de le comparer à celui d’ange campé alors par Terence Stamp.
Une fin ouverte mais décevante
Non, on reste quand même assez dubitatif devant tant d’effets de caméra pour un résultat somme toute décevant, pour ne pas dire médiocre qui se laisse entrevoir dans la toute fin de ce film interminable. Pablo Larrain en est pourtant satisfait puisqu’il accepte dans l’entretien qu’il accorde au dossier de presse du film le qualificatif de « justice poétique ». « Je dirais que c’est un équilibre cosmique qui est atteint dans cette pièce. Ils sont finalement tous ensemble, ils forment une famille, et même s’ils s’en allaient, ils seraient toujours une famille. C’est la trace qu’ils laissent. J’adore l’idée de justice poétique mais je ne pense pas que la justice puisse être appliquée dans ce cas-là, parce que je ne sais plus ce que c’est. Mais je dirais qu’il y a une sorte d’équilibre peut-être cosmique dans le sens où cette situation semble vraiment liée à la nature. Je pense qu’Ema représente la nature, et la nature trouve son équilibre. »