El Estudiante ou Récit d’une jeunesse révoltée

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Caméra à l´épaule, l´Argentin Santiago Mitre signe un premier film coup de poing dans les coulisses du militantisme universitaire.

El Estudiante débute sur le dos de Roque (Esteban Lamothe), tandis qu’il déambule entre les salles de cours de l’Université de Buenos Aires, et se termine sur un plan fixe de son visage lorsqu’il rejette avec conviction une proposition de monter en grade auprès du nouveau recteur. Allant de la nuque (côté face) aux yeux du personnage (côté pile), d’une silhouette indistincte à une identité réelle, le premier long métrage de Santiago Mitre esquisse, à travers l’évolution de son protagoniste, le schéma d’un parcours initiatique au sein des mouvements politiques étudiants et de la société argentine des années Kirchner. Avec, en point d’orgue, une prise de conscience éthique pour son personnage qui papillonne de fleur en fleur (du sexe opposé aux postes politiques) au gré de ses rencontres. Avec pour seule conviction, au départ, la présence d’une femme, Paula (Romina Paula), enseignante engagée politiquement au sein du parti universitaire Brecha (« brèche » en français : tout un programme). Femme avec laquelle Roque est mis en concurrence par le réalisateur, comme si l’un et l’autre, pourtant amants, ne pouvaient occuper la même place en même temps, dans le champ visuel comme en politique.

C’est que la politique, comme l’amour, fonctionne à la façon du jeu des chaises musicales : à chaque tour, il faut que le participant prenne la place de quelqu’un d’autre. Le parcours de Roque est ainsi déterminé par un certain opportunisme. Car le film veut être aussi le récit d’une montée en puissance, celle d’un jeune homme que les occasions invitent à grimper rapidement les marches des responsabilités. Il semblerait que Mitre ait demandé à Esteban Lamothe de visionner le film de Jacques Audiard, Un prophète (2009), afin de s’inspirer de l’ascension fulgurante du personnage joué par Tahar Rahim : une manière supplémentaire de lier subtilement les carrières politiques et criminelles, tout en soulignant le cynisme inhérent à ce genre de parcours.

Film activiste pour personnage actif

Santiago Mitre édifie son œuvre avec intelligence et subtilité. El Estudiante est un film long, bavard et dénué de projet esthétique ; une voix off désagréable vient de temps à autres fournir des précisions sur les évènements ou les changements dans le caractère de Roque, venant alourdir inutilement le récit ; les multiples tours et détours du scénario, entre références à l’histoire politique argentine du XXe siècle et démonstrations stratégiques au sein des mouvements étudiants, pourraient laisser quelques spectateurs en arrière. Ce serait dommage. Car le réalisateur puise dans un vaste champ référentiel qui va du style documentaire, avec une caméra portée à l’épaule, au cinéma militant, tourné avec trois francs six sous, en passant par une stimulante mise en relief des paradigmes politiques. Citer Machiavel et Rousseau n’a rien de gratuit dans un film qui, non content de se poser comme une œuvre militante, a été produit et tourné de façon quasiment clandestine : production menée par la propre société de Mitre, 30 000 dollars de budget, absence de subventions de l’État, aide bienvenue de l’Université de Buenos Aires et des mouvements étudiants, prise de vues sauvages dans les couloirs de la fac, tournage étalé sur sept mois au gré des disponibilités des comédiens et des locaux… Voilà une œuvre dont la forme et la genèse font efficacement écho à ses thématiques. Et tant pis si des scories viennent alourdir le propos ou gêner en partie la démonstration.
 
 

 
 
El Estudiante
reflète la société argentine contemporaine à double titre. D’abord en ce qui concerne le secteur de la production cinématographique, puisque le projet réunit trois des personnalités les plus en vue de ce domaine : les producteurs Mariano Llinás (réalisateur de Balnearios en 2002 et de Historias extraordinarias en 2008) et Pablo Trapero (metteur en scène de Leonera en 2008 et de Carancho en 2011, deux films reconnus dans le monde entier) et le cinéaste Santiago Mitre, habituel scénariste de Trapero. Ensuite parce que El Estudiante est né et a grandi dans un contexte difficile, les évènements politiques rimant souvent avec une impression de chaos : certaines scènes ont été filmées lors de manifestations liées à l’assassinat de l’étudiant Mariano Ferreyra (tué en octobre 2010 au cours d’une mobilisation en faveur des employés de chemins de fer, Ferreyra aurait été visé par des assassins à la solde de syndicalistes) ou en hommage au président Néstor Kirchner après son décès. Même si ces scènes ont été retirées au montage, on peut apercevoir des affiches politiques étalées sur les murs de la fac. Et si la politique nationale n’a pas droit de cité, cette contextualisation invite à lire El Estudiante comme une synecdoque du monde politique dans son ensemble tant il serait aisé de reproduire, à grande échelle, les bisbilles, les trahisons et les mini-coups d’État qui ébranlent constamment la sphère des mouvements militants universitaires.

Pour autant, Santiago Mitre choisit de conduire son récit vers une conclusion optimiste. En donnant un visage à son héros, celui-là même qui nous était dissimulé dans les premiers plans, en lui offrant l’opportunité de faire un choix moral (un « non » franc et honnête, l’un des rares « non » qu’il aura prononcé jusque-là), le réalisateur lui octroie aussi, in fine, une âme qui semblait lui faire défaut. C’est en cette âme – celle, au-delà de Roque, de toute l’Argentine – que veut croire Mitre. Si la politique est affaire de mots, le plus important aura bien été le dernier de tous.

Titre original : El Estudiante

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Durée : 110 mn


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