Eastern Boys

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Après « Les Revenants » où des personnages s´imposaient à d´autres, Campillo met en scène la naissance et la disparition d’un personnage.

On avait laissé Robin Campillo il y a onze ans avec un premier film remarquable. Les Revenants (2003) se penchait sur le genre du film de zombie en le rationalisant. Point d’horreur, ni de gore, mais des questions pratiques : maintenant qu’ils sont revenus, on en fait quoi ? Il faut leur trouver du travail ? Et la sécu ? Depuis, Les Revenants est devenu une série TV à succès (dans laquelle le réalisateur n’intervient pas) et Campillo s’est illustré comme scénariste et monteur des films de Laurent Cantet (Entre les murs, 2008) . Après un passage par quelques festivals, on attendait Eastern Boys avec impatience. D’apparence, mais ce n’est qu’en partie vrai, les préoccupations de ce second long métrage semblent plus immédiatement réalistes, voire sociales. Mais, prenant un abord plus fantaisiste, Les Revenants finissait par le devenir lui aussi.

A la sortie du train, Daniel, la quarantaine un peu solitaire, sillonne la Gare du Nord à la recherche d’un prostitué. Ce sera Marek, jeune homme d’Europe de l’Est, qu’il invite chez lui le lendemain. Tel est pris qui croyait prendre, c’est toute la bande, intimidante, du jeune homme qui se pointe pour une fête spontanée qui se transforme en un cambriolage aussi doux que radical. Entre homme esseulé et victime masochiste, Daniel entame alors une relation, tarifée, avec le jeune homme. Lâché brutalement sur le papier, le synopsis suscite plus la perplexité que la franche adhésion. Si la surprise saisit durant la projection, Campillo tempère l’incrédulité potentielle par un second niveau de lecture. Le peu de résistance et le quasi consentement de Daniel durant le cambriolage viennent mettre en scène un dénudement symbolique du personnage : un moyen pour lui de se dessaisir d’un passé définitivement perdu et pourtant trop omniprésent. L’acceptation dans sa vie de Marek, pourtant responsable du piège tendu, est alors possible. Littéralement, de la place a été faite pour une nouvelle relation.

 

Si Les Revenants partait du fantastique pour l’importer dans le quotidien et le traiter de la manière la plus pragmatique qui soit, Eastern Boys fait le cheminement inverse. Il tire une situation réaliste, et même triviale, vers le symbolique. C’est sur les traces du conte que mène le film, comme l’atteste la dernière partie, titrée « Halt Hotel, Donjons et dragons ». On y voit Daniel tenter d’arracher Marek des griffes de son chef de bande : soit tenter de le libérer et l’aimer. C’est ici un hôtel de banlieue où la préfecture place les immigrés qui tient lieu de donjon. Moins que l’amour conjugal, ce que va offrir Daniel/le prince, c’est une seconde chance, la possibilité d’une table rase pour l’émancipation. Si Campillo est un peu moins à l’aise dans la mise en place de son chapitre final, la lecture qu’il en offre est plutôt fine. A l’inverse des Revenants où le passé ressurgissait dans le présent de la manière la plus surprenante et invasive qui soit, c’est ici l’effacement du passé qui semble être le motif majeur du film. Par deux fois, le film met en scène une libération des personnages de leur histoire ; par deux fois, l’appartement de Daniel se vide de ses meubles. Effacer pour mieux recommencer, vider pour renaître. Eastern Boys dessine alors le trajet nécessaire pour un nouveau départ. Le recommencement, lui, ne nous concerne plus. Il adviendra après : hors champ, hors le film. Dès lors que les deux personnages sont définitivement détachés de leur passé, ils disparaissent de l’écran, laissant ce passé hanter les lieux.

Saisir au vol, au hasard

Mais le morceau de bravoure d’Eastern Boys, c’est vraiment la longue séquence d’ouverture qui à elle seule mérite le déplacement. Entre intérieurs et extérieurs, souvent surplombante, la caméra sillonne la Gare du Nord et en cadre l’incessant mouvement. Longtemps, passants, voyageurs pressés et badauds peuplent l’image, la traversent rapidement pour ne plus jamais reparaître. Cette balade permet de faire surgir une organisation propre à ce microcosme, dévoilant un monde souterrain qui officie à ciel ouvert : celui des vols et trafics. Longtemps, surtout, aucune figure précise n’émerge. La caméra finit par sélectionner deux personnages – Daniel et Marek – mais presque par hasard parmi les milliers de visages possibles qui défilent dans l’espace. La caméra isole deux figures et les érigent en personnages dont elle va alors pouvoir suivre les destinées. Alors que la résurrection dans Revenants imposait des personnages dans la vie d’autres personnages, ce que met en scène cette séquence, c’est la possibilité même du film, la possibilité d’une histoire : un zoom scénaristique et la naissance de deux personnages. Rien que pour cette sublime séquence, Eastern Boys s’avère l’une des plus intéressantes propositions de cinéma de ces derniers mois.
 

Titre original : Eastern Boys

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Durée : 128 mn


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