DVD « Les Six femmes d´Henry VIII »

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Les Tudors avant « Les Tudors ».

En France, nous avons Les Rois maudits (1995-1977), grande saga de Maurice Druon plusieurs fois adaptée à l’écran qui donne une vision romancée de l’Histoire de la France du XIVe siècle. En Italie, on se délecte des crises familiales et autres coucheries des Borgia. Au Royaume-Uni, ce sont les Tudors qui inspirent les artistes depuis longtemps. Il faut dire que Henry VIII reste des siècles après sa mort une personnalité hors normes. Pas le temps de s’ennuyer durant son long règne avec ses six mariages, une course à l’héritier, l’éviction, le plus souvent violente, de cinq épouses, une excommunication et un schisme avec la papauté. Bien avant la version à l’esthétique érotico-chic créée par Michael Hirst (2007-2010) avec Jonathan Rhys-Meyers en monarque vieillissant à peine en 38 années de règne, ni ne prenant un gramme (Henry VIII aurait terminé sa vie obèse), la BBC avait déjà tenté la mise en images du monarque star en 1970.

 

La série, dirigée par John Glenister – il réalise une adaptation d’Emma (1815) de Jane Austen en 1972 – et Naomi Capon, prend en six épisodes de 90 minutes le parti-pris des femmes. Chaque épisode est consacré à l’une des épouses, le plus souvent malheureuse du souverain (deux furent exécutées) : de Catherine d’Aragon, malheureuse ibérique qu’on a fait mariner des années dans l’antichambre du pouvoir et qui verra son mariage avec le roi annulé faute d’avoir pu lui donner un héritier mâle, à la jeune Catherine Parr, ultime épouse qui œuvra en faveur des protestants et à la réconciliation du vieux Roi avec ses filles déclarées illégitimes du fait de la répudiation de leur mère. D’amant un peu niais lors de ses premières années avec Catherine d’Aragon – le jeune couple a tout de deux enfants amoureux : il lui compose des chansons en français, lui court après en faisant le loup… -, Henry se meut progressivement en monstre d’égocentrisme, profiteur plutôt qu’hédoniste et froidement calculateur. La nécessité politique d’obtenir une descendance mâle que ses premières femmes ne parviennent à mettre en œuvre ne fait, en fait, que révéler le caractère réel d’un homme que la condition place – du moins le croit-il – au-dessus des lois et du commun des mortels. En cela, la saga des Tudors est la mise en scène d’une inattendue volonté de puissance (1). Les Six femmes d’Henry VIII n’y va pas avec le dos de la cuillère et on observe incrédule, dans le deuxième épisode (Anne Boleyn), le roi bâfrer tranquillement auprès de sa maîtresse (sa future troisième épouse Jeanne Seymour) en attendant la mort de sa femme, râlant que les choses n’aillent pas plus vite.

« Tout ce que vous avez à faire, c’est me donner un fils. »

Au fil des épisodes, on sent une influence nette de la dramatique télévisée dont le souvenir reste encore vivace. La dramatique est un savant mélange de théâtre et de cinéma conçu pour la télévision. Bien que limité par un temps de tournage souvent très court, le texte théâtral est joué par les comédiens et filmé avec le vocabulaire et le montage du film ou du téléfilm. En lieu et place de la frontalité propre au théâtre filmé (où la caméra est à l’extérieur de la scène), la caméra est alors sur scène, au cœur des comédiens et de l’action. La dramatique fut même un temps tournée et diffusée en direct. On conserve ici un peu de la rigidité du jeu théâtral classique, de même qu’une caméra parfois peu mobile. Les décors sont superbement travaillés (2) et c’est avec plaisir qu’on pénètre les boiseries ornementales de la Renaissance britannique. Mais ils sont assez peu nombreux. En dehors de quelques pièces construites (la salle de bal, la chambre à coucher et les salles de jour) dans lesquelles se concentrent la majorité des scènes et les extérieurs naturels, lorsqu’on place l’action dans d’autres lieux, ceux-ci sont alors légèrement esquissés : quelques meubles sur un fond blanc pour évoquer un banquet ou les instruments du tir à l’arc pour mimer l’extérieur avec un cadrage rapproché masquant le minimalisme de l’ensemble.

 

Le plus saisissant dans ces Six femmes d’Henry VIII est évidemment le choix du point de vue. Là où l’on choisit classiquement celui d’Henry VIII car c’est lui qui assure la continuité de l’histoire sur les quatre décennies de son règne où les épouses ne sont que de passage (3), Les Six femmes d’Henry VIII adopte celui des reines successives. Chaque épisode est alors un recommencement : le récit elliptique d’une vie et d’une expérience particulière. Le portrait du roi est ainsi fait en creux, fragmenté entre ses épouses successives. Lettré certes, aimant parfois, le Henry VIII joué par Keith Mitchell (4) est bien loin de la sexy attitude choisie pour le rôle de Jonathan Rhys Meyers dans la récente version. Le roi grossit, le roi vieillit, le roi faillit et déçoit. Sans être, loin sans faut, d’une parfaite exactitude historique, Les Six femmes d’Henry VIII évite – époque aidant – la séduction facile propre à son sujet. La violence n’a rien d’esthétique, elle est froide, suffisamment précise pour montrer la cruauté des faits sans jamais tomber dans la mise en scène spectaculaire et complaisante.

Depuis ses nombreuses adaptations des grands auteurs britanniques (Jane Austen, les sœurs Brontë, Charles Dickens, Elizabeth Gaskell, William Shakespeare) en passant par les immanquables Absolutely Fabulous (Dawn French et Jennifer Saunders, 1992-2004) ou Doctor Who (Sydney Newman et Donald Wilson, 1963 -) jusqu’à la récente Call the Midwife (Heidi Thomas, 2012 -), Les Six femmes d’Henry VIII n’est qu’un des très nombreux exemples de la qualité de la production série de la BBC.


Les Six femmes d’Henry VIII
de Naomi Capon et John Glenister – DVD édité par les Éditions Montparnasse – Disponible depuis le 3 mars 2015.

(1) Inattendue car Henry VIII n’était pas destiné à régner. Il n’accède au trône que grâce au décès de son frère aîné, le prince Arthur, en 1509.
(2) La série reçoit en 1971 les BAFTA des Meilleurs décors et des Meilleurs costumes.
(3) La première Catherine d’Aragon est celle qui fut le plus longtemps mariée à Henry VIII (23 ans), là où les autres le furent toutes moins de cinq années.
(4) Il reçoit le BAFTA du Meilleur acteur en 1971 et le Emmy Awards du Meilleur acteur en 1972. Il reprend son rôle dans la version film de la série réalisée par Waris Hussein en 1972 (avec Charlotte Rampling) et fera de nombreuses apparitions dans la série Arabesque (Richard Levinson, William Link et Peter S. Fischer, 1984-1996) à la fin des années 1980.


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