Enquête sur un citoyen au dessus de tout soupçon d’Elio Petri

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Tout le malaise et les clivages de la société italienne des seventies exprimés dans un déroutant mélange d´humour, de cynisme et de mystère…

Durant son âge d’or, le cinéma italien n’eut jamais peur d’allier divertissement et propos engagé en abordant frontalement les maux de la société d’alors. Il faut dire qu’à travers les soubresauts des « années de plomb » orchestré par les actions des Brigades rouges et la corruption ambiante des institutions, il eut été difficile de faire abstraction de ce climat vicié. Toutes les facettes du paysage cinématographique italien, chacune à leur manière tentèrent d’exprimer ce malaise ambiant. La comédie italienne la plus cynique avec notamment Au nom du peuple italien de Dino Risi, le film politique dans Confession d’un commissaire de police au procureur de la République de Damiano Damiani ou les féroces et réactionnaires polars italiens très populaires à l’époque.

Un pur OVNI allait pourtant transcender toutes ces approches différentes en mélangeant virtuosité, thématique engagée, satire cruelle et esthétique inventive : Enquête sur un citoyen au dessus de tout soupçon. Elio Petri était sans doute le candidat idéal pour ce film symbole. Scénariste ayant œuvré pour une des comédies italiennes les plus noires avec Les Monstres et ancien activiste communiste, il révéla, une fois passé à la réalisation, un attrait pour le policier, la folie et l’absurde dès son premier film L’Assassin. Cette alliance de conscience politique, de recul et d’humour désopilant, trouve son aboutissement avec Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon. Dès l’ouverture, les repères sont brouillés. Gian Maria Volonté, élégant et autoritaire commissaire de police tue la vénéneuse Florinda Balkan dans une séquence digne du giallo le plus raffiné. La révélation de sa profession n’intervient qu’ensuite, la désinvolture avec laquelle il aura quitté la scène du crime (sans quasiment se cacher, laissant les indices de sa culpabilité à foison) n’en étant que plus étonnante. On saisit rapidement que bien qu’usant avec brio des mécanismes du polar, l‘intérêt de Petri n’est pas dans la résolution de l’enquête.

Le ton du film oscille constamment, du polar annoncé dès le départ, le ton lorgne vers la satire la plus absurde avant de basculer dans le cauchemar typiquement kafkaïen. Les raisons ? La personnalité de son détestable héros. Gian Maria Volonté incarne en effet à lui seul tout le penchant néfaste de certains traits typiques de l’Italie du moment ou de toujours. Son cynisme et le sentiment de toute puissance inspiré par sa fonction (il est promu chef de la police politique en cours de film), l’incitent à prendre tous les risques et à braver les autorités incapables (ou effrayées) de faire le rapprochement entre lui et le crime. On en arrive à quelques scènes surréalistes où Volonté se rend auprès d’un supérieur auquel il révèle tous ses liens avec le meurtre, et dans le même temps exige (et obtient) tous les moyens possibles pour les effacer. Le magnétisme de Volonté et la peur de l’autorité se confirment encore lors d’un incroyable moment qui le confronte à un témoin capable de le trahir mais qui ne cillera, paralysé par la peur.
La culpabilité issue de la religion catholique, la personnalité infantile du héros et son rapport étrange à sa victime (lors de multiples flashback à la sensualité et au sadisme psychologique et physique étonnant) donnent finalement un nouveau jour à ce qu’on aura pris pour de l’arrogance. Plus que l’aspect néfaste d’une personne, c’est la gangrène d’un ordre entier et sa solidarité que Petri dénonce avec la police. Volonté, inconsciemment et volontairement à la fois, souhaite être pris. Il défie et nargue les autorités tout en étant consterné par leur apathie. Sauf que ce que l’on pensait être de l’incompétence s’avère être un esprit de clan, dédié à la corruption et la domination des plus faibles. L’ancien membre du PC qu’est Petri ne donnait pas cher de l’Italie prise entre deux feux tout aussi néfastes : les plus faibles sont prêts à trahir et dénoncer sous la menace, les plus forts sont enfermés dans un dogmatisme stérile. Cette richesse du fond est largement suivie sur la forme. Petri joue avec les genres et les ruptures de ton avec une atmosphère de plus en plus irréaliste dans ces éclairages et le jeu outrancier des acteurs (fabuleuse Florinda Balkan, Gian Maria Volonté extraordinaire et second rôle à l’avenant).

Carlotta a une nouvelle fois bien fait les choses dans une édition gorgée de bonus dont on retiendra surtout l’intervention d’Ennio Morricone sur son inoubliable et entêtante musique, ainsi qu’un passionnant (et fort utile pour ce cinéaste injustement oublié) documentaire italien sur la carrière d’Elio Petri.

 

Titre original : Indagine su un cittadino al di sopra di ogni sospetto

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Durée : 96 mn


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