Djeca, Enfants de Sarajevo

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Avec « Djeca », Aida Begic se fait le chantre d’un cinéma social bosniaque très Frères Dardenne. Une analogie estimable dont il lui faudra cependant s’affranchir.

Premières neiges, premier long métrage d’Aida Brević sorti en 2008, racontait l’histoire d’un groupe de femmes ayant perdu tous leurs hommes suite aux massacres en Bosnie de l’Est. Le récit d’une lutte pour survivre dans une société exsangue d’après-guerre, au sein de laquelle tout semblait cependant possible. Dans Djeca, ce « rêve bosnien », cette croyance en une société sur le point de se reconstruire, a disparu. Les souvenirs ont désormais remplacé les rêves. Il faut dire que seize années ont passé depuis la fin des combats et la Bosnie ne parvient pas à achever sa transition vers une nouvelle ère. Et comme dans la plupart des pays où le futur n’existe pas, le changement nébuleux est un terreau fertile pour le maintien de l’injustice, de la corruption, de la violence et de tout autre phénomène social néfaste. Pour beaucoup, l’échelle sociale s’est inversée depuis la fin de la guerre, les riches ne souhaitant pas intégrer les nouvelles règles du jeu devenant soudainement pauvres et inversement.

Beau deuxième film, qui a reçu la mention spéciale du jury dans la sélection Un certain regard à Cannes l’an passé, Djeca suit l’histoire de Rahima, une orpheline de la guerre en ex-Yougoslavie. Employée de cuisine, elle s’occupe seule de Nedim, son frère adolescent bagarreur, et répare ses bêtises tout en louvoyant pour éviter l’assistance sociale. En s’appuyant sur un scénario aux sentiers battus, la cinéaste Aida Begić déploie – avec une facilité déconcertante – une étourdissante mise en scène tout en longs plans-séquence tournés caméra à l’épaule. Au centre de toutes ces circonvolutions aux chorégraphies millimétrées, Rahima est pistée dans ses moindres faits et gestes : bavardages dans les sous-sols d’une arrière-cuisine, déplacements sinueux dans les artères désertes de Sarajevo, et cætera. À l’inverse de Premières neiges, film très statique, tout est en mouvement dans Djeca. Cette mise en scène organique semble avoir été conçue en réaction directe avec le mode de vie des personnages. Ainsi, la structure du film parvient habilement à rendre compte de la vie chaotique et des perturbations que traverse Rahima. Hyperactive, cette jeune femme de 23 ans est en mouvement permanent et ne cesse de tourner en rond, arpentant inlassablement des endroits connus. Une façon de cultiver la normalité en feignant une vie ordinaire. Tout bouge mais rien ne change.

 
 

 
 

Dans Djeca, les protagonistes se comportent comme une famille dysfonctionnelle au sein de laquelle aucun des membres ne correspond à la norme sociale. Un état de fait d’autant plus prégnant dans le restaurant où travaille Rahima. D’un côté, la jeune femme est marginalisée parce qu’elle porte le voile ; Davor, le chef cuisinier, appartient quant à lui à la minorité croate et est homosexuel ; et Dino, le serveur, est un junkie. C’est précisément les douleurs, les différences et les manques qu’ont en commun ces employés qui leur permettent de vivre ensemble. En multipliant les exemples de ce type, Aida Begić érige un témoignage intéressant du devenir incertain des minorités en Bosnie. Mais avant de parvenir à s’émanciper complètement de son statut de petite sœur Dardenne d’un cinéma bosniaque ne comptant par ailleurs que trois productions par an, il faudra sans doute un troisième film à cette prometteuse réalisatrice. Reste que Djeca offre des fulgurances remarquables. Le parcours du combattant enivrant de Rahima, ex punk qui a pris le voile, dresse un portrait de résilience impressionnant enchâssé dans un autre : celui de Sarajevo, ville fantôme et cafardeuse en perpétuel état de siège. Après la guerre vient la stase, et avec elle une vie clandestine qui palpite.

Titre original : Djeca

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Durée : 90 mn


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