14 courts-métrages en une soirée pour trois prix remis, plus une mention du jury. Ladite soirée s’annonçait copieuse, et il faut reconnaître que le buffet offrit des mets succulents à nos yeux. La plus grande réussite du festival GRAIN URBAIN tient sans doute au fait que malgré l’éclectisme effectif de sa sélection, qui naviguait entre le documentaire de création, la fiction, l’expérimental pure, l’expérimental soft et le classique, une cohérence s’est dégagée de l’ensemble, et une véritable identité est née sous nos yeux. Celle d’un festival donnant la part belle à la ville pour mieux l’encenser ou la critiquer. Les villes ont pris de multiples visages ce soir-là : oppressants, chauds, froids, sexuels, sensuels, inhumains, déshumanisés, politiques, fantastiques ; les cités étaient tantôt à l’image des hommes qui les parcourent, tantôt elles réduisaient les hommes à la solitude ; elles interrogeaient la place de l’humanité au sein de la modernité ; elles rendaient fou ; elles inspiraient ou broyaient, détruisaient ou ramenaient à la vie. Dans tous les cas, et, quel que soit le ton des films (souvent des drames toutefois) la ville était toujours conçue comme une entité vivante qui impacte les individus s’y déplaçant et vice versa.
Cette nature organique est autant due aux diverses histoires contées , qu’aux esthétiques que leurs auteurs ont employées. Des esthétiques diversifiées donc, mais qui utilisait de façon récurrente la pellicule (de divers formats, en allant du 8 mm au 16 mm) ainsi qu’à des bandes sonores elles aussi expérimentales et, le plus souvent, très utiles pour véhiculer, participer, voir créer les histoires narrées par les auteurs. On aura ainsi vu un château d’eau finlandais et une autoroute africaine prendre vie, tandis que par montage et cadrage, le plus grand des ports américains prenait l’aspect d’une fourmilière mécanique à l’aspect toutefois et paradoxalement, étrangement organique ; le flou d’une mise au point incertaine retransmettait symboliquement l’opacité enfumée et l’allure rugueuse des PMU parisiens, la chaleur dégoulinante du béton d’Athènes (et avec le concours de ses pigeons) encourageait la sexualité de deux jeunes amoureux, tandis que les éclairages nocturnes du treizième arrondissement, lui, en plus du sexe, appelaient au vol ; les images numériques, elles aussi présentes, pouvaient tantôt donner vie à une mégalopole fantasmagorique située entre le rêve et le cauchemar, comme faire redécouvrir une cité ancienne, Venise, à l’aune des nouvelles technologies et de googlemaps.
Tout ceci n’est qu’un échantillon de ce que l’on pouvait voir dans ce cinéma des champs Élysées ce soir-là. L’ensemble de ces films avaient aussi pour point commun, par la force de leur parti pris esthétique, d’interroger le sens que peut donner une image à l’environnement comme aux individus d’une société et la responsabilité qu’il y a à filmer ou à mettre en scène ; ce qui permit de joindre le raffinement à l’émotion. Si l’on devait trouver un défaut à cette sélection, ce serait un humour et une ironie un peu trop discrets ; accentuer leur présence aurait pimenté l’ensemble et ravi nos papilles visuelles. Et peut-être que du point de vue de l’organisation, le seul reproche que l’on pourrait vraiment faire à cette belle soirée est justement la quantité gargantuesque de films à ingérer en un si petit laps de temps. Une densité qui a pu générer, en fin de cycle, une légère indigestion qui a émoussé l’œil et l’attention pour au moins les deux derniers courts-métrages.
Un souci minime qui, soyons-en sûrs, à mesure que le festival se développera, sera réglé sans problème dans la mesure où il disposera de plus de temps pour étaler sa sélection et laisser le temps à son public d’échanger entre les séances. Pour le reste, par la prise en main à la fois ferme et délicate de l’équipe, on pouvait sentir que le festival était rigoureusement organisé de bout en bout. Les trophées distribués étaient à la fois beaux et discrets, l’ambiance générale chaleureuse et prompte à nous faire oublier une actualité des plus glaçante. En une phrase : c’est là une franche réussite, il faut que le festival persévère, se développe, et nous avons hâte des éditions prochaines.
Affaire à suivre donc…