Carlos

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Voici donc la version cinématographique de la série tv qu´Olivier Assayas a consacrée à la figure du terroriste. Deux concentrés de puissance qui s´essoufflent malheureusement sur la durée. Mais que l´échappée est belle !

Quels souvenirs gardons-nous aujourd’hui du terroriste Carlos, qui sévit dans les années 1970 et 1980 ? Quelques flashes infos, un mauvais portrait robot grisâtre affiché dans les mairies et sur les postes de secourisme des plages… L’un des plus brillants cinéastes français contemporains s’attache ici à mettre la légende en images avec l’épatant Édgar Ramírez dans le rôle titre.
 
A première vue, la filmographie d’Olivier Assayas a tout pour apparaître insaisissable. Enchaînant des films que tout semble opposer, il livre cette année deux versions d’un même objet présenté hors compétition au dernier Festival de Cannes. Hors compétition ? Oui car Carlos est une production tv diffusée en mai sur Canal + dont Assayas a tiré une version cinématographique plus courte. Il ne reste en salle que 2h45 sur les 5h30 de départ. Presque inévitablement, le cinéaste commence par la prescription habituelle du film adapté de faits réels (doit-on ici parler de biopic ?) : même inspiré de faits divers, le film reste une fiction, notamment parce qu’on ne possède qu’une biographie lacunaire du terroriste. Carlos oscille donc entre fiction bien documentée avec nécessité documentaire (les sous-titres donnant les noms des personnages, les bandes d’actualité en noir et blanc puis en couleurs…) et intimité réimaginée.
Assayas alterne entre séquences très découpées au montage nerveux (on passe ainsi en quelques minutes de Beyrouth à Paris et Londres) et appesantissement sur certaines situations laissant les personnages se construire à l’image. Le réalisateur ne met pas seulement en scène les grands faits de la carrière de Carlos, il leur laisse le temps d’advenir, donnant de l’espace et de l’ampleur à ses personnages. La séquence du meurtre de la rue Toullier commence ainsi bien avant l’arrivée de la police et permet de saisir Carlos dans son univers parisien. Sans passer par le dialogue, ou pire la voix-off, Assayas disperse de nombreuses informations dans ces séquences. On voit en effet bien vite que le propos est autant de retracer une vie que de donner un corps au terroriste : un corps derrière les actes, les idées et leur médiatisation. Prend ainsi forme sous nos yeux un corps héroïque : beau, puissant et orgueilleux jusque dans sa chair. Il est à l’image de l’esprit qui le maîtrise : entre l’arrogance bourgeoise, la gloire et l’idéal du sauveur romantique. L’attention à ce corps est de tous les instants : à l’allure plus qu’assuré, majestueux dans sa nudité, puis se dégradant jusqu’au pathétique. Quelques clichés de la DST française saisiront d’ailleurs sa démarche boiteuse à la fin du film. Carlos trace le portrait du héros viril jusqu’à son flétrissement.
 
On pense à la figure du Che, dont le visage apparaît grimé sur une affiche. L’idôle est d’ailleurs bien vite mise à mal par un Carlos désireux d’asseoir son identité. Une ambition, une fougue, de l’utopie… L’image du film de Steven Soderbergh (Che, 2009) nous apparaît aussi brièvement, mais c’est étonnamment plutôt son Traffic (2000) qui traverse l’esprit. Mais Assayas a tôt fait d’imposer sa patte et son style en mettant en scène une volonté de puissance. Plus que pour une cause, ce Carlos se bat pour un idéal. Pas nécessairement celui de ses supérieurs, mais le sien, la construction propre de sa figure médiatique. Au fil du film, Carlos apparaît de plus en plus comme une rock star aux mouvements appuyés par des choix musicaux parfois pléonastiques malgré leur justesse. Même après l’échec, il ne se séparera pas de son assurance arrogante, de ses lunettes noires, jetant le mégot de son cigare en pâture à l’armada de photographes tentant enfin de saisir le visage quasi inconnu de la star mondiale.
Après des débuts en grandes pompes, le film et la vie de Carlos connaissent un ralentissement certain. La star apparaît telle une sorte de has-been perdu dans sa gloire passée, alors que le monde a changé. En adoptant cet abattement nécessaire, le film perd de sa force et certains défauts deviennent plus nets, comme le recourt répété au fondu au noir pour marquer les ellipses temporelles et quelques facilités de montage dont on se plaît à croire qu’elles sont dues au format réduit pour le passage en salle. Il n’empêche qu’Assayas se lance dans un genre où peu de Français s’aventurent. On peut citer le Mesrine de Jean-François Richet (2008) ou surtout le beau La Raison du plus faible de Lucas Belvaux (2006). S’il semble moins sensationnaliste que ses confrères américains, Carlos apparaît néanmoins comme une fiction épique et décomplexée. Avec des films fort différents, Assayas poursuit en filigrane une mise en scène de la perte des idéaux.
 
 

Titre original : Carlos

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Durée : 165 mn


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