Captain Fantastic

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Un road movie au charme indéniable, mais gâté par un scénario trop binaire pour susciter le débat.

L’éducation des enfants a ceci de particulier que tout le monde aime donner son avis sur la question sans que personne ne l’ait demandé. Le réalisateur américain Matt Ross a lui aussi voulu apporter sa contribution au débat en s’interrogeant sur les méthodes d’éducation dans l’Amérique d’aujourd’hui et les conclusions qu’il tire de cette réflexion sont quelque peu manichéennes.

Ben Cash est un Robinson volontaire qui élève ses six enfants en marge de la société américaine qu’il exècre, et qu’eux ont appris à exécrer. Au consumérisme débridé, ils préfèrent la chasse et la cueillette, dorment dans un grand tipi et vivent seulement de ce qu’ils produisent. Leurs journées se partagent entre entraînements sportifs – plutôt stage de survie que cours d’EPS – et leçons assurées par le père, seul responsable du programme scolaire dispensé. Cette apparente harmonie familiale est bientôt mise en péril par la disparition de la mère ; le père de cette dernière n’ayant jamais toléré son mode de vie, il menace Ben de lui retirer la garde des enfants s’il se rend aux obsèques de sa femme.
 

Eden champêtre

Comme Douglas Sirk et Vincente Minnelli avant lui, Matt Ross est allé chercher l’inspiration du côté du poète naturaliste américain Henry David Thoreau, auteur du célèbre Walden ou la vie dans les bois. Apôtre de la désobéissance civile, souvent considéré comme un précurseur de l’écologie, Thoreau est aussi le chantre de la vie en marge de la société, davantage considérée comme un modèle à fuir que comme une entité à combattre de l’intérieur. Ainsi, les enfants Cash se définissent comme maoïstes ou trotskistes, traitent les capitalistes de fascistes sans jamais avoir mis les pieds dans ce système qu’ils abhorrent a priori, leurs connaissances étant plus rationalistes qu’empiriques. Pour encourager leur liberté de conscience, leur père n’en adopte pas moins une démarche quasi-propagandiste. Qu’à cela ne tienne : être au plus près de lui et de sa tribu, à l’aide d’une caméra à l’épaule, comme contaminée par cette liberté, suffira à le rendre sympathique et à épouser son point de vue (étrange Prix de la mise en scène dans la catégorie cannoise Un Certain Regard, par ailleurs). Malgré les réserves qu’elle commence doucement à soulever, cette première partie dans les forêts du Nord-Ouest des Etats-Unis reste, quelque part, plaisante. Le côté école buissonnière permanente, avec option auto-suffisance, fait croire en la possibilité de ce qui est souvent présenté comme une douce utopie. Beaucoup en rêvent, très peu le font, et le fait de pouvoir le vivre ne serait-ce qu’un instant par procuration a des vertus consolatrices.
 



Cauchemar urbain

Mais quand les Cash montent à bord de leur bus pour se rendre au Nouveau-Mexique, la binarité du propos agace. Si les enfants de Ben ont une condition physique exceptionnelle, l’Américain lambda est obèse ; si eux savent citer et expliciter le Bill of Rights, les autres adolescents, accaparés par leurs jeux vidéos, savent à peine de quoi il s’agit ; et face à la franchise implacable de Ben, les parents adeptes de périphrases et autres litotes passent pour des lâches. Volontairement lobotomisé par les médias de masse, l’Américain est soumis aux diktats consuméristes d’un pays bâti par et sur le business – sans parler du fait qu’il soit chrétien et qu’il fête Noël, banni chez les Cash et remplacé par le Noam Chomsky’s day, du nom de ce philosophe américain classé comme anarcho-syndicaliste aux Etats-Unis. Tout est vu par le prisme de l’idéologie. Le film abrite pourtant des moments de doute et de remises en question : les enfants ont beau être très intelligents, ils n’en sont pas moins inadaptés socialement et ne savent pas comment se faire des amis ou des petites amies. Pourtant, quasiment chaque rébellion individuelle se solde par une réintégration au groupe. Le film aurait pu charmer en peignant la cocasserie du décalage entre les Cash et le reste du monde, mais son aspect moralisateur est par trop énervant. Aux Etats-Unis, Captain Fantastic est peut-être perçu comme un discours audacieux, voire irrévérencieux, mais il est plus proche du feel-good movie, pour peu que l’on arrive à faire abstraction de son prêche simpliste.

Titre original : Captain Fantastic

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Durée : 118 mn


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