Battle For Haditha

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Un fait divers qui reflète à lui seul toute une guerre.

À 250 km au Nord-Ouest de Bagdad, sur une route qui mène en Syrie, se trouve une ville du nom d’Haditha. En ce 15 novembre 2005 se déroula un « fait divers » resté dans l’ombre malgré les moyens techniques de communications de notre époque. Il faut dire que la guerre en Irak est un conflit obscur, et que finalement peu d’informations arrivent jusqu’en Occident…

Nick Broomfield, le réalisateur de Battle for Haditha, est un habitué des documentaires. Il raconte ici cette tuerie sous la forme d’un docu-fiction. Il traite son sujet en se plaçant tour à tour dans la peau de chaque protagoniste, sans vraiment appuyer le point de vue de l’un ou de l’autre pour avoir une forme de recul par rapport à l’événement. C’est sans aucun doute la grande force du film : le spectateur prend tour à tour parti de l’un ou l’autre camp, chacun ayant semble-t-il de « bonnes » raisons d’en vouloir à son adversaire. Il n’y a pas de parti pris dans la mise en scène ou dans les cadrages, comme si la caméra adoptait une sorte de neutralité bienveillante. Elle serait le témoin impuissant des horreurs de la guerre.

Le réalisme du film est accentué par le choix des acteurs. En effet, Nick Broomfield a engagé d’anciens Marines pour interpréter les personnages de l’armée américaine ainsi que des Irakiens réfugiés en Jordanie (lieu du tournage) pour jouer les rôles des civils et des insurgés. Dans les regards de tous ces acteurs débutants se lit le poids des responsabilités et la peur du lendemain. Dans leurs mots (la plupart des dialogues sont improvisés) résonnent le fracas des bombes et les sursauts causés par les attaques surprises. Leurs corps semblent robustes et alertes mais dissimulent à chaque geste de profonds tremblements. Avoir une vingtaine d’années et se retrouver au combat pour une cause que l’on ne comprend pas ; avoir une vingtaine d’années et l’esprit nourri des images d’intense barbarie qui hante vos nuits. L’enjeu essentiel est finalement l’humain. Sans amour il n’y a que de la haine, de la vengeance. Tous essayent de survivre. En d’autres termes ils veulent que la vie prenne le dessus.

Il est intéressant de noter le décalage entre les images et la bande son. La musique de Nick Laird-Clowes emprunte de ses propres inspirations venant du rock alternatif et évoque parfois certains jeux vidéo. Un moyen, peut-être, de maintenir le spectateur à distance. Michael Moore utilise parfois ce procédé afin d’ironiser sur des situations dramatiques. S’éloigner des évènements est d’une cruelle efficacité lorsqu’il s’agit de se rendre compte des choses. La somme de monstruosité que l’on peut voir chaque jour sur nos petits écrans est telle qu’il est absolument indispensable de trouver des subterfuges afin d’interpeller un spectateur souvent trop passif et contemplatif.

Le film se décompose en deux parties à peu près égales, l’évènement central étant l’explosion de la bombe artisanale. Ce moment qui plane en apogée est conséquence et prémisse. Au commencement il y a des hommes et des femmes, vivant presque « normalement » (bien que la notion de normalité soit ici bien étrange) au milieu des tirs et sous les bombes.

Les Marines préparent leurs diverses missions. Chez certains on sent l’angoisse pointer le bout de son nez : on avoue parfois des cauchemars, des insomnies, tout en ayant conscience que la survie dépend de la seule capacité qui consiste à faire abstraction des massacres. Les doutes ne sont pas permis car ils seraient synonymes de mort. Du côté des insurgés, c’est avec la force qui résulte de la patience que l’on confectionne minutieusement la bombe artisanale. Elle sera déclenchée au loin par un simple téléphone portable… D’une simplicité enfantine, pas d’erreur possible. Dans la famille de civils, on est à la fête: on célébrera bientôt la circoncision d’un jeune garçon. En pleine préparation des mets, certains seront les témoins de la mise en place de la bombe, sur la route qui passe en bas de chez eux. Après réflexion, ils resteront, étant persuadés que leur innocence les éloignera de tout danger. Dans toute cette première partie, l’image se remplit de groupes de personnes. Les corps ne sont pas des entités indépendantes mais plutôt des composantes d’un tout, une somme de particules en quelques sortes. Les non-dits dévoilent l’unité, les êtres sont reliés les uns aux autres par des fils invisibles.

Et puis vient l’explosion. Et le chaos. Un Marine est tué. Alors ses compatriotes ripostent. Sans savoir vraiment qui et où on doit chercher. À cet instant plus rien n’a d’importance. Haine et vengeance ont pris le dessus et on tire dans le tas. Juste pour se calmer les nerfs. Juste pour se sentir plus fort. On entre dans les maisons et la mitraillette fait le reste. C’est l’incompréhension. Des corps sans vie, des flammes, et de la poussière. L’image est désordonnée, l’écran est dans le brouillard. On ne parle plus, on hurle. On ne cherche plus à comprendre, on agit. Il n’y a le temps de rien. Vingt-quatre civils irakiens sont morts pour une cause qui n’étaient pas la leur.

Une note d’espoir cependant : Hiba, une irakienne, se jette sur le corps mort de son époux, à découvert. Le visage défait de cette femme, en gros plan, résume à lui toutes les atrocités du conflit. Ses larmes et ses cris auront raison des Marines : après l’avoir menacée, ils l’aideront, dans un geste de compassion, à se relever et la laisseront s’enfuir.

Un film réaliste et poignant, contant la petite histoire oubliée dans la grande… Un fait divers qui reflète à lui seul toute une guerre.

Titre original : Battle For Haditha

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Durée : 93 mn


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