Entre le tracé du geste, du mot et l’élan ou la tenue du corps, l’esquisse du trait et la prise de pouvoir de la chair, voire du sang, ce cinéma semble comme peu d’autres travaillé par la question du hiatus entre enregistrement du réel et articulation du récit. D’où que toujours l’élégance s’accompagne de quelque rupture de ton, de claudication, que l’évidente maîtrise de chaque effet ne cherche aucunement à se déparer de quelque soupçon quant à cette maîtrise. Comme si un film de Benoît Jacquot était avant tout mû par sa propre défiance vis-à-vis de la possibilité de filmer son histoire à la bonne hauteur, de garder la bonne distance avec les acteurs, décors et costumes nécessaires à l’engagement de la fiction. Le précédent Villa Amalia, qui laissa l’an passé un goût amer, apparut alors comme une impasse, une exposition arrogante des ficelles et intentions de ce cinéma, quelque chose comme un exemple de cinéma d’auteur français terminal, où les embranchements du récit étoufferaient toute velléité d’incarnation dans l’œuf.

Dans chacune de ses collaborations avec Benoît Jacquot, au désir du cinéaste – qui fut accessoirement son compagnon – de la filmer au plus près de sa jeunesse et de sa progressive « maturation » s’allie une prise de pouvoir, un investissement du plan, de la scène, du récit entier, assez typiques des grandes « natures de cinéma ». Il serait bien sûr un peu suspect, Jacquot ayant filmé d’autres grandes actrices, de prétendre déceler chez la Le Besco d’Au fond des bois la plus-value semblant manquer à la Huppert de Villa Amalia. A moins d’une conviction qu’en authentique auteur, au même titre qu’il commanda à Bruno Coulais, en amont du tournage, le concerto pour violon esquissant pour grande part l’arrière-monde du film, Jacquot serait cinéaste à ne penser un film qu’à la lumière de sa future actrice. Pour Isabelle les récits de mise à distance du monde, du quotidien, de cheminement prioritairement spirituel allant vers des horizons plus clairs. Pour Isild, des embardées au cœur même du monde, le passage des frontières, l’abandon également de tout statut social, mais au profit cette fois d’un idéal plus terrien, davantage lié à l’avènement d’états plus sauvages, plus « naturels », versant potentiellement rousseauiste de son cinéma.

Reste à reconnaître que même si, répétons-le, Au fond des bois rachète largement Villa Amalia, ce dernier film ne manque pas de laisser songeur. Peut-être en raison, cette fois encore, d’une maîtrise ne faisant pas mine de se cacher, d’un excès de transparence dans l’accès à cette maîtrise. Auteur, Benoît Jacquot prend une nouvelle fois le risque de sacrifier la beauté, la force intrinsèque de ce qu’il filme et met en scène à une excessive conscience que tout ceci, en définitive, reste bel et bien fabriqué, encore et toujours « du cinéma ». Lucidité prêtant forcément à réserve, devant un film faisant sujet du doute et, pour au moins l’un de ses élus, des quelques bénéfices susceptibles d’en découler.