Ca commençait pourtant bien. En vacances au soleil, une journaliste française, Marie (Cécile de France), subit un tsunami de plein fouet, qui la confronte à une expérience de mort imminente. Comprendre : elle entrevoit l’au-delà avant de revenir à la vie. Tout se passe très vite : sur le marché local, elle achète un bracelet, avant que la vague ne s’abatte, emportant tout sur son passage, Marie y compris. La scène est impressionnante, les effets spéciaux crédibles, le talent de cadreur de Clint Eastwood évident. Sous ses faux airs de production Roland Emmerich, le majestueux en plus, l’ouverture promettait donc un film habité.
Ce serait plutôt l’inverse. Le 31ème film d’Eastwood est à peu près aussi creux que son sujet était ambitieux. Traiter de la vie après la mort, questionner la possibilité d’un ailleurs : on était en droit d’attendre une vision personnelle et audacieuse de la part d’un cinéaste rodé aux scénarios sensibles. Au lieu de quoi Au-delà se révèle plus pamphlet moraliste, sinon moralisateur, sur le mode franchement niais d’un "pensons la mort pour mieux célébrer la vie". Triste constat : le Sixième Sens de Shyamalan appréhendait mieux les fantômes que ce salmigondis sirupeux qui fait se côtoyer deuil et questionnements personnels dans trois histoires gigognes que seul Iñarritu aurait rendues plus indigestes encore.
Il faut dire qu’ici, presque rien ne va. Ni le casting, international deluxe mal servi ; ni le scénario, fade enchaînement de saynètes philosophiques vides ; ni la photo, qu’on connaissait léchée chez Eastwood, ici paresseuse. Peu importe qu’on soit enclins ou non à croire en la possibilité d’un dialogue avec les morts, un film mieux maîtrisé aurait dû donner envie d’y croire – du moins, rendue recevable une telle théorie. Problème, et de taille : le cinéaste semble ne même pas avoir la sienne, de théorie, s’efforçant de ne froisser personne dans un pitch supposément émouvant, finalement tout sauf passionnant. A peine s’il écorche les charlatans, au détour de séquences vues mille fois, comme lors d’une séance collective où une médium-imposture a faux sur toute la ligne. Les trois histoires qui composent Au-delà et finissent forcément par se téléscoper à la faveur du destin sont au diapason. 1) La journaliste et le tsunami donc, à Hawaii puis à Paris. 2) A Londres, un petit garçon fait face au décès accidentel de son frère jumeau, en même temps qu’il se voit placer en famille d’accueil pour cause de mère héroïnomane. 3) A San Francisco, un ouvrier ex-médium surdoué se voit contraint de reprendre du service, et explique à qui veut l’entendre que "ce n’est pas un don, mais une malédiction" (52 fois, à peu près). Ne spoilons rien, mais ces trois-là se retrouveront tous au Salon du livre de Londres, et leur trajectoire en sera profondément modifiée. C’est fou, la destinée.
Filmer aux quatre coins du monde, pourquoi pas. Mais l’exercice requiert une articulation autrement plus fine que celle proposée ici. Pour mieux souligner sa vocation d’oeuvre universelle, sorte de Babel en plus sobre, Clint Eastwood nimbe chaque ville d’un filtre de couleur différente. Un rendu paradoxalement cheap, loin de l’élégance dont le réalisateur fait montre d’ordinaire. Et s’il excelle dans les scènes spectaculaires et la manière de retranscrire l’histoire récente (le tsunami de 2004 et les attentats de Londres), Eastwood peine en revanche à capter les moments d’intimité. Rescapés du désastre, quelques instants entre Matt Damon et Bryce Dallas Howard : là, Au-delà touche joliment à quelque chose d’infiniment ténu – un amour qui commence à se faire. Pour le reste, les trajectoires personnelles des héros manquent de souffle, notamment dans la partie française, la plus faible du film. Eastwood a rêvé Cécile de France héroïne transcendée – elle représente la ménagère de moins de 50 ans, desperate carriériste permanentée aux faux éclairs de génie. Animatrice de télévision, son personnage veut écrire un livre sur François Mitterrand et toutes ses zones d’ombres, "dont on n’a jamais parlé". Les fameuses zones d’ombre, ce sont Mazarine, le Rainbow Warrior, le suicide de Bérégovoy – autant de sujets surtraités depuis des années.
C’est un détail, mais ça ne trompe pas. Au-delà est bourré à rabord de ces petites contrariétés, de ces petits pas de travers qui empêchent de l’aimer. La faute peut-être à un cinéma eastwoodien devenu, il faut bien l’admettre, un peu pépère, voire carrément ronflant. Loin de toute prise de risque, Clint Eastwood brode ici autour de thèmes qu’il aurait voulus sensibles, mais s’effacent derrière un misérabilisme de tous les plans. Le bonhomme est humaniste, à n’en pas douter. Et il n’est pas surprenant qu’à 80 ans, la question de la vie après la mort l’interpelle. Il n’empêche qu’Au-delà s’étouffe vite, avançant comme il peut en film asthmatique et sclérosé. Il y a bien de l’intuition ça et là, mais toujours trop rationnelle. Tout l’inverse des croyances que le cinéaste avance. Oui, c’est ça : pour être grand, pour être beau, Au-delà aurait dû marcher à l’instinct.