Difficile d’affirmer qu’Arcadia innove, ou qu’on n’a pas l’impression d’avoir vu le film mille fois. Tout y est : routes infinies et désolées, motels miteux et dîners poisseux, enfants qui boudent sur la banquette arrière. Sauf que Silver, si elle n’évite pas quelques symboles lourdingues (un ours en peluche abandonné sur un coin de route pour marquer l’adieu à l’enfance), sait ménager un vrai climat de trouble, où elle suggère plus qu’elle ne montre, où les petits détails qui ne trompent pas disent plus que n’importe quel mot. Les coups de sang d’un père acculé, la promesse brisée d’une virée au Grand Canyon ou le départ précipité d’un fast-food où le vin n’est pas servi assez généreusement (“on n’est pas en France”), et c’est la gêne adolescente d’avoir des parents qui apparaît idéalement à l’écran. Des kilomètres avalés, une photo de famille à laquelle on s’agrippe, un matelas gonflable à même le sol : Olivia Silver filme l’apprentissage de la vie à la dure de manière tout à fait recommandable.
Surtout, elle est grandement aidée par un casting irréprochable, à commencer par John Hawkes, dont le jeu génial en intériorité et violence rentrée impressionne depuis Winter’s Bone (2011) ou Martha Marcy May Marlene (2012). De ce dernier, presque unaninement célébré par la critique, Arcadia hérite le flottement, le ballottement, l’idée que la vie peut parfois prendre des chemins de traverse et qu’il faut composer avec. Ty et Ryan Simpkins, frère et soeur à la ville, finissent de parfaire une distribution soignée : la jeune fille, sorte de petite soeur d’Elle Fanning, évoque l’enfance fânée des films de Sofia Coppola, de Virgin Suicides (2000) notamment. Filmée dans une lumière de fin d’après-midi, on ne regarde plus qu’elle, et le film développe avec délicatesse une sensation d’intimité, le sentiment de connaître et de vivre avec cette famille pas si désunie, observée avec justesse au moment de la toute fin de l’innocence.