Anima 2012 : l’heure du bilan

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Le festival Anima s’est tenu pendant dix jours à Bruxelles. Intense.

Samedi 18 février, dans la file d’attente devant le studio 4, à Flagey. A notre droite, une petite fille qui tourne sur elle-même en fredonnant l’air du Monstre à Paris. A notre gauche, deux petits garçons à l’air un peu perdu se tiennent par la main. Partout autour, une horde d’enfants. Ils mangent des crêpes, crient, râlent un peu, demandent quand est-ce que ça commence. Ces petits êtres bouillonnants d’impatience et d’énergie constituent un public incroyable. Ça y est, Anima a commencé.

La soirée d’ouverture de la veille nous a ouvert l’appétit malgré la légère déception ressentie à la vision du long métrage de Goro Miyazaki, déjà sorti sur les écrans français, La Colline aux coquelicots. Néanmoins, le goût amer qui s’accroche à nous au sortir de la projection n’entame en rien notre motivation. Nous ne voulons rien faire d’autre que nous délecter des programmes savoureux que nous a concocté le festival pour ces dix jours animés.

 


Le festival Anima prend place dans un cadre idyllique, à Flagey, en plein coeur de Bruxelles

Anima : des dizaines de films, un grand coup de cœur

C’est Arrugas, long métrage d’animation de l’espagnol Ignacio Ferreras, réalisé en dessin 2D traditionnel, qui décroche la place de favori (et le prix du public par la même occasion). Adapté d’une bande dessinée de Paco Roca, le film met en avant un sujet peu, ou mal, traité au cinéma : les peurs et doutes d’un homme âgé, pris dans la lente décrépitude d’un corps de plus en plus vieux, de plus en plus malade. « Arrugas », en français, signifie « les rides ». Une histoire de vieux ? Non, c’est bien plus que ça. Emilio est un vieil homme qui, au lieu de devenir une charge pour sa famille, va être placé dans une maison de retraite. C’est au sein de cette résidence pour troisième âge que tout le film va se dessiner, montrant de manière tendre et cynique la vie de ces vieilles personnes qui vont vivre ensemble, avec leurs manies et malgré leur handicap. Mais contre le temps, on ne peut rien. Espérons vivement que le film sortira un jour sur les écrans français car il mérite plus qu’un détour.

 


Le très bel Arrugas © Pedro Verde Films

Alois Nebel et la rotoscopie

La diversité des films du genre prouve aussi la variété des techniques propres aux procédés d’animation. Alois Nebel, long métrage du tchèque Tomas Lunak, met en avant l’utilisation de la rotoscopie, technique qui consiste à relever les contours d’un modèle qu’on filme en prise de vue réelle, image par image, pour retranscrire par la suite ces formes au sein d’une animation. L’histoire d’Alois Nebel prend place en Tchécoslovaquie, en 1989. Chef de gare, Alois va, tout au long du film, être confronté aux démons de l’Histoire et aux fantômes de son propre passé. Au niveau technique et formel, Tomas Lunak n’hésite pas à se lancer des défis pour son premier long métrage d’animation. Outre la technique de la rotoscopie, il utilise un noir et blanc parfait, jouant habilement sur les ombres et les fantômes. Décevant sur certains points, le film possède malgré tout une ambiance très singulière et nous propose de purs moments d’animation. Le film sortira dans les salles françaises en mars 2012.

Les basques débarquent

A Anima, privilège nous est fait de découvrir certains films d’animation en avant-première. C’est le cas d’Olentzero, réalisé en images de synthèse. Avant que la projection ne débute, Gorka Vasquez, son réalisateur, monte sur scène pour nous dire quelques mots, très brefs, sur le film. Son bel accent aux tonalités basque et hispanique nous annonce tout de suite la couleur du film. Olentzero est l’équivalent basque du Père Noël ou de Saint-Nicolas. Il apporte des cadeaux aux enfants mais, s’ils ne sont pas sages, ce sera un morceau de charbon. Olentzero est vêtu comme un charbonnier, il a le teint mât et poussiéreux. Rien à voir, finalement, avec le Père Noël. Avec son air bourru, il passe pour un personnage plus authentique que magique. Gorka Vasquez semble avoir ceci de singulier qu’il traite ses personnages à la fois avec attachement et cynisme. Le ton mielleux, parfois presque niaiseux, avec lequel on a pris l’habitude de s’adresser aux enfants est ici oublié au profit d’un humour piquant porté par des personnages qui ne mâchent pas leurs mots.

Inévitable, l’esprit manga était aussi présent, avec des films comme La Colline aux coquelicots de Goro Miyazaki, Colorful de Keiichi Hara, ou encore Le Chien du Tibet de Masayuki Kojima, qui a remporté un franc succès auprès du public lors de sa projection. Il sortira en France au mois d’avril 2012.

 


Le Chien du Tibet © Denis Friedman Productions

Le court métrage : un monde de pointures

Du côté des courts, malgré la riche sélection qui nous a permis de découvrir une tonne de talents, il est tout de même évident que certains films marquent plus les esprits que d’autres. C’est le cas de Doomed, pilote d’une série toujours en projet de Guillermo Garcia Carsi. Ce court d’animation se fantasme en une sorte de documentaire sur la sélection naturelle à travers des créatures délirantes et étranges, mais en même temps familières. Privilégiant formes et couleurs, le court compile une série de gags, jamais lourds, bien rythmés et pleins d’imagination.

C’est en continuant de rire, assumons-le, aux éclats, que l’on a découvert une série d’épisodes hilarants réalisés par un couple de talents : Céline et Yann. C’est mignon, drôle et tout le travail réalisé sur le sound design est remarquable, contribuant beaucoup à cet humour fin et efficace. N’en disons pas plus, le mieux est d’aller directement s’en rendre compte sur www.the-giants.com.

Le fait de sélectionner des courts métrages qui datent aussi bien des années 1990 que des années 2010 permet aussi de rendre compte de l’évolution des techniques de l’animation.

« Au Pays des Helvètes », programme de courts consacré aux talents suisses, a révélé la très cynique et érotique Amourette de Maja Gehr qui met en scène un couple de pantins en bois en plein ébat amoureux, frottant leurs corps l’un contre l’autre sur une table à poncer. Ils s’usent alors, inexorablement, à mesure que leurs corps se pénètrent. Ce court film de cinq minutes composé de 5717 images est terriblement poétique et efficace. Les corps dansent, fusionnent et s’usent. Contre le temps, décidément, on ne peut rien.

Film d’animation en images de synthèse, le très loufoque Frère Benoît et les grandes orgues de Michel Dufourd met en scène ses personnages dans l’univers d’un monastère médiéval. Avec un style très cartoonesque, les gags vont crescendo jusqu’au délire final où les moines se font littéralement mousser au sein même du monastère. Information non négligeable : Frère Benoît et Michel Dufourd sont à la recherche de partenaires financiers pour créer à partir de ce « pilote » une série TV d’une cinquantaine d’épisodes. On l’espère et on l’encourage.

Rencontres

A Anima, on ne fait pas que regarder des films. On parle aux gens, aussi. Futuranima, ce sont trois jours de rencontres professionnelles. Qui d’autre est mieux placé pour parler de films d’animation que ceux qui les font ?
 
 
Mise en scène : art et évolution du layout d’animation

C’est Fraser Mac Lean, animateur ayant travaillé pour des productions comme Qui veut la peau de Roger Rabbit ?, Space Jam ou encore Tarzan, qui vient nous parler de la sortie de son livre, du layout et de l’animation dans toute sa splendeur. On boit ses paroles et on adore quand Roy Naisbitt, autre grand animateur, nous explique sa méthode. Et oui, c’est lui qui a dessiné la fameuse scène d’introduction de Qui veut la peau de Roger Rabbit ?. Un privilège qui nous laisse, nous spectateurs, encore rêveurs.

Hommage

« Dès le début dans l’animation dessinée, les artistes ont toujours fait leur possible pour tenter de combiner le jeu d’acteurs avec des personnages qui étaient créés en aplat sur des celluloïds. Je tiens à évoquer la patte, le véritable génie, de Chris Knott, qui était mon patron à l’époque de Roger Rabbit. Lorsque les gens se sont rendus sur la scène des Oscars pour recevoir leur statuette récompensant les effets spéciaux de Qui veut la peau de Roger Rabbit ?, Chris Knott n’était pas sur scène, il n’avait d’ailleurs même pas été invité, son nom n’a pas été prononcé. Or c’est à lui qu’on doit le développement de ces techniques d’animation dessinées qui permettent, de manière convaincante, d’intégrer les personnages à plat avec un autre univers. »

 

Fraser Mac Lean à propos de son livre, Setting the scene : the art and evolution of animation layout

Le layout

« Si j’avais été stagiaire travaillant pour la MGM dans les années 40 et que j’avais été amené à travailler sur Tom et Jerry, vu qu’il s’agissait de petites équipes à l’époque, j’aurais vu beaucoup plus de choses que ce que j’ai finalement pu voir chez Passion Pictures, parce que de temps en temps seulement passaient entre mes mains ces feuilles de layout et je me suis dit : « Le layout, qu’est-ce que c’est ? ». C’est en fait le décor avant qu’il ne passe à la phase de mise en couleur.
A l’époque, on m’a demandé d’assister aux sessions d’approbation des différents départements, et c’est là où j’ai vu un peu tout me passer sous les yeux, que ce soit les dessins reprenant un décor, des diagrammes de cadrage utilisés pour le positionnement de la caméra, les dessins reprenant la mise en scène… . J’ai pu me rendre compte que tout cela passait par un seul et même département : le département du layout. Je me suis dit « Mais bon sang, c’est eux qui font le film ! ». »

Le livre

« L’idée pour laquelle nous avons travaillé sur ce livre retraçant l’histoire du layout, c’est pour que les gens se rendent compte que ce n’est pas uniquement le mouvement des personnages qui compte. Quand je travaillais sur ce livre et que je suis allé voir l’éditeur pour vendre cette idée, j’ai essayé de lui expliquer la complexité et l’importance du layout. Il y a tellement de formes différentes de disciplines artistiques et de techniques dans ce travail : cela est dû au fait qu’il y a différents mouvements dans l’animation. Les déplacements de la caméra, les déplacements du décor, tous les mouvements qui sont essentiels afin de donner cette continuité narrative comptent tout autant. Ce n’est pas seulement aux personnages à qui on va donner de la vie, mais également au paysage. »
 


Ernest, Célestine et Cie
Ils sont venus, ils sont tous là : Vincent Tavier et Didier Brunner, les producteurs ; Benjamin Renner, le réalisateur ; Vincent Patar et Stéphane Aubier, les coréalisateurs de l’adaptation en long métrage animé de l’œuvre de Gabrielle Vincent, d’après un scénario de Daniel Pennac.
 
 

L’équipe du film venue nous parler d’Ernest et Célestine

Un auteur : Gabrielle Vincent

Quand l’important est de ne pas faire d’un film une copie mais plutôt un hommage, en restant graphiquement fidèle à l’univers d’un artiste. Attiré dans un tout premier temps par le dessin épuré de Gabrielle Vincent, Benjamin Renner a parfait son propre style en reprenant ce côté très jeté, qu’il voulait qu’on retrouve dans les dessins animés. Il s’agissait de tomber l’animation très rapidement sans trop se poser de questions. Les dessins de Gabrielle Vincent, c’est plus qu’un univers, c’est toute une énergie. Il n’y est pas question de fignolage. Juste et maîtrisé, le trait doit rapidement trouver les intentions désirées. Stéphane Aubier et Vincent Patar, réalisateurs du récent Panique au Village, ont apporté leur fantaisie à ce projet de film. Toute l’équipe s’accorde à dire une chose : le film est pensé comme une porte d’entrée vers l’univers de Gabrielle Vincent et à toutes ses œuvres, nombreuses, qu’elle a accomplies, outre Ernest et Célestine.

La technique de l’aquarelle

« Le film est réalisé à l’aquarelle, ce qui était un vrai défi pour nous. Ça a impliqué des contraintes de production par exemple. Aujourd’hui, presque plus personne ne fait des décors en aquarelles purs et durs. Ça n’a pas été évident de trouver et de monter une équipe pour faire les décors à l’aquarelle. Mais on y est arrivé, et on est satisfait. Le dessin était très plat, l’effet aquarelle venait y apporter une autre dimension, des contours. Notre style implique des traits toujours un peu ouverts, on est dans la suggestion, ce qui a impliqué un énorme travail sur la couleur. Ils ne pouvaient pas cliquer sur une zone et la remplir de couleurs. Il fallait vraiment travailler sur chaque zone, créer les ombres, image par image. » Un travail laborieux qui, à la vision des quelques extraits que Benjamin Renner nous projette, ne peut qu’impressionner son spectateur.

Ernest et Célestine feront des leurs dans les salles de cinéma dès le 12 décembre 2012. Une date dangereuse, s’il en est, non pas tant parce qu’elle se situe à une dizaine de jours de la fin du monde, que parce qu’à ce moment-là, les écrans de cinéma seront pris d’assaut par de lourds concurrents. Quoiqu’il en soit, on ne doute pas des capacités du film à séduire un large public.

 

  
Maquette issue de Vincenta, visible à l’exposition consacrée à Sam durant tout le festival

La pâte à modeler dans tous ses états

Pâte à modeler et stop-motion, voilà les techniques du maître hispanique de l’animation, invité du festival Anima, Sam Orti. Il a fait ses preuves aux studios Aardman (Wallace et Gromit, notamment) avant de créer sa propre société de production, Conflictivos Studios. Son dernier court métrage, Vincenta, remarqué dans plusieurs festivals, est une perle d’hystérie. Il a fallu satisfaire cette tentation qui nous a titillés durant toute la semaine du festival en allant lui poser quelques questions :
 
 
 
Combien de temps a duré tout le processus de fabrication de votre court-métrage Vicenta ?

Vingt-deux mois. Quand je suis venu pour la première fois en Belgique, c’était en 2004. J’ai écrit tout le scénario ici. On a commencé la production fin 2009. Le film est sorti en 2010. Ça prend vingt-deux mois pour faire vingt-trois minutes.

Créez-vous vos personnages en double au cas où il y aurait des « accidents » ?

Oui, je fabrique mes personnages en double. On a deux ou trois corps pour chaque personnage et entre cinq et dix têtes différentes. On a plus de têtes que de corps. Ce n’est pas pour faire des remplacements mais juste pour avoir quelque chose de propre pour la prochaine prise parce que sinon, il y a toujours de la poussière et on doit nettoyer les marionnettes entre les prises.

Quelles sont vos influences ?

Ma plus grande influence ne vient pas de l’animation : je parle de Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro, qui ont fait Delicatessen. C’est le film qui a eu le plus d’influence sur moi. Il y a aussi James Cameron et ses premiers films : Alien, Terminator. Mais il y a aussi l’Espagne avec les premiers films d’Almodovar et les films d’Alex de la Iglesia. En fait, presque tout m’influence. Mais j’avoue que ce que j’apprécie le plus, c’est le fantastique et l’horreur.

Vos films d’animation travaillent tous la pâte à modeler. Etes-vous attiré par d’autres matières ? Par la 2D ?

J’aime tout dans l’animation, que ce soit la plasticine ou les ordinateurs. La raison pour laquelle je réalise avec cette matière-là, c’est parce que c’est réel, ça existe. Avec la pâte à modeler, je me plais beaucoup mieux pour animer parce qu’avec d’autres matières comme les marionnettes ou le latex, ça devient très vite limité au niveau des expressions. Ça a l’air un peu enfantin mais, comme vous pouvez le constater dans le film, c’est pas vraiment pour les enfants ! J’aime bien travailler avec quelque chose qui a l’air d’être pour les enfants mais qui ne l’est pas. C’est étrange mais ça fonctionne bien.

Que pensez-vous du festival Anima ?

C’est un très bon festival, un des meilleurs auxquels je vais. Je vais partout dans le monde, il y a beaucoup de festivals de films, mais celui-là est le meilleur. Je dis pas ça parce qu’ils m’ont invité ! A Anima, il faut payer pour voir les films mais les gens viennent, les salles sont toujours pleines. Quand tu vas à d’autres festivals du film qui sont gratuits et qu’il n’y a aucun public, c’est terrible. Tu vas projeter ton film et il n’y a personne. C’est triste de voir son propre film projeté sur un écran de cinéma et de se rendre compte qu’il n’y a personne qui vienne le voir. A Anima, beaucoup de gens sont intéressés par l’animation. C’est la troisième fois que je viens ici. J’espère revenir dans deux ans avec mon prochain film fini… Enfin, je vais essayer de le finir !

Le festival nous a également permis de faire la rencontre très intéressante de Laurent Boileau, réalisateur de Approuved For Adoption, long métrage mêlant animation et prises de vues réelles, adapté de la bande dessinée de Jung, Couleur de peau : Miel. Le film sortira dans les salles françaises en juin 2012, ce sera pour nous l’occasion d’y revenir à coup sûr.

Le festival est si complet, si riche, qu’on aura toujours l’impression de ne jamais en dire assez pour réussir à en rendre compte. Après ces dix jours, tous les adultes avaient retrouvé leur sourire d’enfant et leurs yeux pétillants. Ces choses-là sont si précieuses que le festival s’occupe de nous le rappeler chaque année. Février 2013, on y sera.
Merci Anima. A l’année prochaine, les enfants.

Le palmarès complet est disponible sur le site du festival.
www.animatv.be

Affiche Anima en-tête : © Peter Elliott / Folioscope 2011

Interview de Sam réalisée en anglais. Aide à la traduction : Charlotte Loutsch.


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