Ana Arabia

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Du bien-fondé de la frontière ?

Malheureusement, Ana Arabia est un film on ne peut plus actuel. A l’heure d’un interminable carnage dans la bande de Gaza et devant un immobilisme consternant de la communauté internationale (si, si, geindre mollement dans un micro à sa tribune en disant que les massacres c’est pas bien peut être considéré comme de l’immobilisme), l’humanisme défendu par Amos Gitaï est plus que nécessaire – même s’il ne sera probablement que peu entendu. Après un détour intriguant mais peu concluant par la télévision française (Roses à crédit, 2012), le réalisateur israélien revient à la question géopolitique de la frontière qui l’occupe depuis des années. Frontière géographique, frontière politique, frontière religieuse, frontière humaine surtout. Ana Arabia prend source dans un lieu : une maison et le quartier alentour entre Jaffa et Bat Yam. Ville à l’origine arabe, Jaffa est rattachée à Tel Aviv en 1950. Une jeune journaliste, Yael, vient rencontrer et interviewer les habitants de la zone délabrée. Avec elle, la caméra va traverser, sillonner les lieux et faire remonter les souvenirs de ses occupants.

Gitaï ne recule pas devant le côté artificiel du scénario : la journaliste et l’article qu’elle prépare ne sont qu’un prétexte au surgissement de la parole. Artifice affiché par la mise en scène elle-même, le film est constitué d’un seul plan-séquence d’1h20. La caméra toujours mobile, suivant Yael, effectue une ronde autour de la maison à l’heure où le jour commence à tomber. Ana Arabia est alors une ronde de corps et d’espaces dans une lumière qui s’assombrit discrètement. Cette ronde bien visible s’éloigne pourtant de la seule performance technique pour faire écho à la vie même des personnages. Le film au sens propre présente une enclave géographique : une zone délabrée de la ville peu à peu envahie par les immeubles de la classe moyenne, les derniers restes des quartiers d’origine. Mais surtout, ce que montre Ana Arabia, c’est, au cœur d’une zone en conflit quasi permanent depuis des décennies, une enclave utopique où l’entente entre les peuples semble possible. Amos Gitaï raconte par bribes l’histoire d’un couple "mixte", un Arabe et une Juive, dans un territoire mouvant. S’il est souvent question d’une traversée nécessaire des frontières pour reconstituer son histoire (Free Zone, 2005 ; Désengagement, 2008 ; Lullaby to my father, 2013), Ana Arabia montre une famille dont l’histoire personnelle rend caduques les frontières instituées. S’il est ici bien question de fiction, le film fait autant écho à des histoires entendues ou des faits observés par le réalisateur avec sa série de documentaires autour de la ville de Wadi (Wadi, 1981 ; Wadi, ten years after, 1991 ; Wadi Grand Canyon, 2001). Attachée au lieu plutôt qu’à sa géopolitique, la famille élargie filmée dans Ana Arabia est une nouvelle manière de mettre en avant l’absurdité d’une situation créée de toute pièce et qui n’en finit pas de s’envenimer.

 

Ana Arabia pourtant semble loin du conflit. La vie qui s’y écoule semble presque hors du temps. Une vie en ruines, abîmée par l’histoire, mais presque isolée, comme protégée derrière ses murs délabrés. Il faudra attendra la fin pour que la caméra quitte la maison, rejoignant l’arbre aperçu dans le premier plan et s’élevant peu à peu au-dessus de la maison, découvrant alors d’autres taudis de tôles perdus au cœur d’un horizon d’immeubles. L’éden en ruines apparaît alors pour ce qu’il est : une anomalie qui n’a plus sa place dans le politique. Si Amos Gitai, dont le travail est souvent contesté en Israël, envisage son film comme "une revendication politique, où j’affirme que la destinée des juifs et des arabes sur cette terre ne sera pas séparée. Ils sont liés et doivent trouver des solutions pacifiques de coexister, trouver des manières pour que chacun vive sa vie, pour qu’ils se nourrissent et se stimulent les uns les autres, et non pas uniquement par des conflits perpétuels" (1), malheureusement, les atrocités en cours semblent donner raison à ce que montre de manière involontairement désespérée ce dernier plan sublime d’Ana Arabia.

(1) Dans le dossier de presse du film.
 

Titre original : Ana Arabia

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Durée : 84 mn


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