Passion amoureuse en dents de scie, raccordée à des péripéties interminables.
Au début, une rencontre peut tenir à peu de choses, à une pause cigarette qui réunit par hasard sur un toit de Paris un serveur dans un grand hôtel et une apprentie mannequin, tous deux dans le désarroi de leurs activités respectives. Un rien d’attirance partagée suffit à faire basculer en quelques minutes le répit du commencement : Fausto, jeune italien impulsif, prend deux ans de prison pour avoir agressé un client qui n’a pas aimé retrouver le petit personnel en train de faire la visite de la suite dans laquelle il loge. Nadine, Française sans attache mi-bougonne mi-déterminée, l’attend à sa sortie.
Démarre alors l’histoire d’une passion amoureuse entre les deux jeunes gens, vivant à fleur de peau entre leur désir débordant et un quotidien qui les compresse : elle économise minutieusement tous ses sous de mannequinat par peur de revenir au point de départ, sans rien ; il vivote à l’idée de lui emprunter son argent pour prendre les parts dans la construction d’une boîte de nuit, « l’Alaska » qui donne son nom au film. Cet étendard devient le point de départ de situations mélodramatiques qui n’en finissent plus (accident, bagarres, mort), aux scènes parfois aussi creuses que le kitsch décor du nouveau club. Les amoureux se séparent, les rôles s’inversent, Fausto se met à prospérer et Nadine se retrouve à travailler dans un bar dépourvue de sa détermination première. Le rythme est survolté sans jamais vraiment décoller. Elio Germano et Astrid Bergès-Frisbey présentent tous deux un jeu suffisamment sensible pour les rendre crédibles et attachants, mais qui ne suffit pas à évacuer les interminables péripéties que le réalisateur ajoute à la vie des jeunes gens. Le drame amoureux et social bascule dans un apparat du film mafieux tel que le cinéaste a pu le mettre en scène en réalisant des épisodes pour la série italienne Romanzo Criminale, où ce registre trouvait sa cohérence.
Claudio Cupellini saisit quelque chose de la société contemporaine, de sa frénésie, ainsi que d’une partie de la jeunesse qui la compose. L’alternance entre la langue italienne et française, due aux origines respectives du couple et à leurs déplacements (Paris puis Milan) participent de cette effervescence. Une économie dans le récit aurait permis d’approfondir davantage certains thèmes mis en avant dans le film (fossés sociaux, rapports amoureux). Alaska se termine, la boucle se bouclant avec la sensation d’avoir un peu tourné en rond.
Toute la filmographie de Satyajit Ray est innervée par cette constante dualité entre l’intériorité du microcosme domestique et l’expansion stérilisante du monde environnant. La maison et le monde ne fait pas exception qui dépeint une société indienne tiraillée entre l’héritage colonial d’une tutelle britannique et son légitime accès à l’indépendance sur fond de clashs religieux entre Hindous et Musulmans. La sphère conjugale voisine ainsi avec la sphère politique. De même, cette coexistence omniprésente de la féminité et de la mère patrie déifiée à travers elle. Retour sur ce film fondateur à réhabiliter.