A la recherche des racines d´un monde qui change

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Plus qu´une petite semaine pour découvrir << Terre natale, ailleurs commence ici >>, une étonnante exposition sur le rapport entre l´homme et ses racines. A cette occasion, la fondation Cartier vous accordera les 13 et 14 mars la permission de minuit.

Un antagonisme. Confronter l’enracinement au déracinement. Réfléchir sur les rapports de l’homme à ses racines, et ce, dans une société mondialisée. Dans un monde où la mobilité est montrée en exemple. Telle est la finalité de l’exposition Terre natale, ailleurs commence ici, présentée actuellement à la Fondation Cartier, à Paris.

Une exposition ? Pas tout à fait. Plutôt « une manifestation politique, souligne Paul Virilio, urbaniste et philosophe, à l’origine, au côté de Raymond Depardon, de cette exposition. Pas politique au sens de la gauche et de la droite. Politique au sens du peuple, du peuplement, c’est-à-dire : où "habitez-vous, où êtes vous". Lui qui travaille depuis longtemps sur la vitesse, l’exode, la fin de l’espace géographique, remet ici en question la notion de « sédentarité ».

Dans la petite salle du 261 boulevard Raspail, un globe projeté sur un écran circulaire fait le tour de la pièce, tandis que défilent chiffres et autres données. Tous témoignent des phénomènes migratoires, des flux d’hommes mais aussi d’argent. Et pour appuyer encore davantage ce propos, des cartes dynamiques reproduisent les mouvements de migration. Plongé dans le noir, le visiteur se sent comme submergé par un phénomène qui semble le dépasser, qu’il ne semble plus pouvoir contrôler.

Photographe et cinéaste, Raymond Depardon donne, lui, la parole à ceux qui ont décidé de rester enracinés à leur terre natale. Coûte que coûte. S’enraciner pour défendre une langue, une culture, un peuple. Afar d’Ethiopie, Quechua de Bolivie, Guarani du Brésil… Des portraits de nomades, de paysans, d’îliens et d’Indiens. Caméra dans une main, micro dans l’autre, Raymond Depardon a parcouru le monde à la rencontre de peuples menacés par la mondialisation. Cette énorme vague capable de tout emporter ou presque sur son passage. Y compris d’arracher un homme à ses racines.

Visite guidée à travers le dépaysement d’une exposition expérimentale, en compagnie d’Ilana Shamoon, l’une des conservatrices de la fondation Cartier :

Le concept de l’exposition germe depuis déjà quelques années. Elle est venue de conversations entre notre directeur général, Hervé Chandès, Paul Virilio et Raymond Depardon. Ensemble, ils voulaient explorer les questions de la terre natale, de comment l’humain s’ancre dans une culture. Ils ont cherché à comprendre comment l’humain garde le lien avec ses origines.

Une salle plongée dans le noir. Des fauteuils et un écran géant où se croisent les portraits de personnes dont la langue tend à disparaitre. Qui nous racontent leur Histoire, leur culture, leur identité.

Pour le film "Donner la parole", Raymond Depardon a décidé d’aller à la rencontre de peuples en perte de leur culture d’origine. Il articule cette perte d’identité à travers la langue maternelle. En exemple, les Kawaskars, les derniers survivants d’une tribu du sud du Chili. Ils ne sont plus que neuf à parler leur langue et à vivre selon leurs habitudes.
En un an, Raymond Depardon a fait plusieurs voyages à travers le monde : en Afrique, en Amérique du Sud et même en France. Pour aller justement à la rencontre de ces populations qui tiennent à garder leur langue, et donc leur identité, face à la culture de mondialisation. Comme en France, les Bretons et les Occitans qui essaient de perpétuer leur langue pour garder leur singularité. C’est une forme de résistance. C’est une partie importante dans le travail de Raymond, il s’intéresse à  ces populations qui ne veulent pas partir, qui résistent aux changements.

Deuxième salle, deux écrans, deuxième angle. La valse silencieuse de passants d’un monde qui s’entrecroise.

Son tour du monde en 14 jours est un clin d’œil à Paul, qui travaille beaucoup sur le rétrécissement des distances et la vitesse des transports. Raymond voulait un peu vivre de façon directe les idées de Paul, donc il a fait une boucle autour du monde en 14 jours. Ce qui donne une sorte de journal intime filmé, sans le son. C’est d’ailleurs le seul voyage qu’il a fait seul. Pour les autres, il était accompagné par sa femme, Claudine Nougaret, qui s’est occupé de la prise de son. Ce sont deux films en contradiction, par la forme mais aussi par le fond. Il y a une opposition ville/campagne. Dans "Donner la parole", il part à la rencontre de personnes du monde rurale, des paysans, des pécheurs. Ici, il dresse le portrait d’une culture plus urbaine.


Au sous-sol, une autre vision du monde. Plus rapide, plus vive,  plus froide, celle de Paul Virilio.  D’abord, une pièce en demi-cercle où défile un globe terrestre selon des données statistiques.


Paul prend le contre-pied du travail de Raymond. Il regarde plutôt l’étape suivante, les gens qui bougent, qui migrent. Il s’intéresse aux phénomènes de masse, aux mouvements de population à l’échelle globale. Son installation est plus axée sur des données chiffrées. La salle des cartes est une interprétation de statistiques.
Paul est venu vers nous avec beaucoup d’idées, mais sans savoir comment les mettre en œuvre. Il a travaillé avec une équipe d’artistes-architectes new-yorkais qui travaillent autant sur des projets de construction de bâtiments que sur des projets artistiques. Ce qui est assez unique. Ils ont aidé Paul à mettre ses concepts dans une scénographie artistique.

Puis, une grande salle où s’alignent au plafond des écrans diffusant les images d’un monde qui bouge.

C’est une partie quasiment documentaire. Sur les écrans, il n’y a que des images d’actualités, qui sont souvent mises à jour. Les images sont plus froides, plus « objectives. »
Elles ont été cherchées par mon équipe, avec l’aide de Paul Virilio.
Nous entrons dans une aire inédite de mouvement et de migration, de déplacement des foules. Que ce soit dû au changement climatique ou à un facteur politique et économique, d’ici 50 ans ce phénomène va prendre une ampleur jamais vue. On voit tous les jours des infos sur les migrants, sur des populations en mouvement, que ce soit voulu ou pas. La question de la terre natale devient de plus en plus importante. La question est de savoir comment garder son identité ailleurs.

Terre natale, ailleurs commence ici
Nocturnes jusqu’à minuit : vendredi 13 et samedi 14 mars.
Fondation Cartier
261 boulevard Raspail
75014 PARIS   
Tel. 01 42 18 56 50
www.fondation.cartier.com
Métro Raspail ou Denfert-Rochereau


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