A ghost story marche sur un fil. Peu d’actions, encore moins de dialogues, le film tient sur quelque chose de ténu qui finit pourtant par être bouleversant, à mesure qu’émerge, presque insidieusement, un sentiment de vertige que les premières scènes ne laissent pas entrevoir. Des premières scènes en apparence anecdotiques – et peu s’en faut, fastidieuses – si ce n’est que la mise en scène de David Lowery leur apporte une dimension singulière. Le format 4 : 3 aux bords arrondis et la lumière fanée évoquent ces vieux films de famille retrouvés par hasard, dont l’identité des protagonistes aurait été depuis longtemps oubliée. Comme celle du filmeur, qui semble tour à tour familier ou rôdeur mais toujours invisible à ceux qu’il observe. Déjà, le film nous parle depuis un hors-temps, comme un souvenir en passe de s’effacer. Et quand le fantôme revient, le film devient véritablement troublant en nous montrant un mort hanté pour qui le temps s’écoule mais ne passe pas.
L’utilisation, dans les premiers moments, du temps réel qui pourrait passer pour une afféterie auteurisante (il y a beaucoup à parier que la scène du gâteau en énervera plus d’un), est un moyen de nous faire expérimenter la double temporalité qui sera celle du film : celle du mort et celle des vivants. Assigné à demeure, le spectre assiste, impuissant, à la succession de différents habitants dans ce qui était sa maison au fur et à mesure que le temps défile. Et il défile de plus en plus vite puisqu’à la durée se sont substituées des ellipses de plus en plus importantes, et l’immortalité – si l’on peut dire – du mort devient aussi angoissante que le caractère transitoire de la vie humaine. David Lowery renverse les perspectives, c’est au fantôme de faire son deuil et c’est encore à lui que revient le rôle de gardien de la mémoire. La simplicité formelle de A ghost story fait sa force : il suffit d’une ellipse pour saisir le flot du temps, il suffit qu’un simple drap parle de son amnésie pour sentir la douleur de l’absence. Méditation sur le temps qui passe, sur la perte, sur le deuil…le film est tout cela si l’on parvient à dépasser le côté arty-hipster de la première partie qui peut décourager. Jamais un fantôme ne nous aura autant ému.