We Need to Talk About Kevin

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<< Mais pourquoi est-il aussi méchant ? - Parce que !!! >>

En compétition au dernier festival de Cannes, sur le papier, We Need to Talk About Kevin est un film assez passionnant – et pas seulement pour Françoise Dolto ou même Carlos : l’histoire d’un enfant débarquant inopinément dans la vie d’une mère moyennement convaincue, et qui ne va lui donner que très peu de raisons de changer d’avis. Le sujet, inspiré du roman éponyme de Lionel Shriver, malgré sa pertinence, a rarement été abordé : l’amour maternel est-il inné ?

We need to talk about Eva

La symbolique déployée durant tout le film est limpide : du rouge pour le sang, un rideau blanc pour ses fantômes, et un miroir d’eau dans lequel plonger son visage endeuillé… A travers l’image de Kevin, c’est son propre reflet que Tilda Swinton, alias Eva, rejette. Le montage, élégamment elliptique, nous souffle les promesses d’une belle carrière trop tôt suspendue pour changer les couches de son marmot. Tout au long du film il n’est véritablement question que d’elle : qu’est-ce qu’elle a fait qu’elle n’a pas fait ? Réminiscences à l’appui, elle tourne en rond dans son bocal, mais rien n’y fera : l’issue sera fatale, nulle possibilité de remonter le temps. Le petit Kevin a déclaré la guerre à sa maman. Le compte à rebours de l’implosion est enclenché.

Pour Ezra Miller qui incarne de Kevin : « Kevin n’est ni le mal incarné ni un sociopathe – c’est un adolescent qui perce à jour l’image qu’offre sa famille. » (1)

Sa famille, donc : un père le plus souvent absent et totalement aveugle, tout acquis à sa douce progéniture assez peu dupe de la superficialité de papa, une petite sœur pansement qui doit expurger tout le mal perpétré par son grand frère… une mère dont l’unique regard sert de point de repère, de sorte que Kevin finisse bel et bien par nous apparaître comme un sociopathe. Juxtaposition d’un marteau piqueur et d’un berceau, gros plan sur la morve de son ado se rongeant les ongle ou mangeant un litchi : emphases et contrepoints, s’ils nous permettent parfaitement de pénétrer l’inconscient d’Eva, nous permettent aussi de bien ressentir sa terreur ou son dégoût. Très vite, l’intrigue psychologique vire à la psychose presque caricaturale. Kevin se révèle être le diable en personne, et on ne comprend que trop sa mère lorsqu’elle a envie de l’écraser comme une punaise.

En même temps, on ne peut pas le reprocher à Lynne Ramsay. Le point de vue de la mère n’est que trop rarement sondé, il ne s’agissait pas de réaliser encore un film sur la souffrance d’un gamin, mais bien de donner à examiner celle d’une mère incapable d’aimer son enfant. Il fallait donc la soutenir jusqu’au bout, cette mère. Adhérer à ses tourments, à la torture que lui inflige son mari bouché, à sa solitude face au problème. Et ça marche ! La forme entière du film est happée par le personnage d’Eva. Impossible de prendre du recul. Kevin est stigmatisé, et le contraste avec sa soeur angélique contribue à le noircir encore davantage. Certes, perçue positivement comme un ange par sa mère, parallèlement, elle l’est aussi négativement par Kevin, pour qui elle incarne l’idéal insoutenable qu’il ne sera jamais. Néanmoins, déterminisme oblige, après tout ce qu’il a déjà commis, lorsqu’il s’en prend à la blondinette, on le maudit d’autant plus qu’on a déjà totalement endossé l’angoisse de la mère.

Lynne Ramsay ouvre ainsi d’énormes brèches, aussitôt refermées par son propre parti pris esthétique. Au lieu de jongler entre les points de vue, elle n’en a choisi qu’un seul. Le film, certes perturbant, atteint très vite ses limites. La gêne vient malheureusement autant du scénario que de notre frustration à l’issue du long flash back douloureux : pourquoi ? A quoi bon ? Pourquoi n’a-t-elle pas avorté ? Quelle sale tête de con ! Si seulement Super Nanny était encore vivante ! Etc… Si on saisit aisément le narcissisme de Kevin, celui de maman n’émerge qu’à la fin, lorsqu’elle demande à fiston, en prison, pourquoi il a fait tout ça. Il lui répond : « maintenant, je ne sais plus ». A notre grande surprise, Eva le serre dans ses bras : soulagement de ne pas avoir eu à entendre « parce que je te déteste », ou simple geste de pardon ? Enfermés dans leurs ego, tous deux n’ont jamais réussi à dialoguer, ils commencent quand c’est trop tard. Trop tard pour nous aussi, malheureusement : nous détestons déjà Kevin.

 
(1) Dossier de presse du film, page 5.
 

Titre original : We Need to Talk About Kevin

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Durée : 110 mn


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