Uranus

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En dépit de quelques maladresses, Claude Berri respecte les écrits vindicatifs de Marcel Aymé pour une des rares illustrations d’une époque peu glorieuse de l’Histoire française.

Uranus est la deuxième incursion de Claude Berri dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale. Situé au croisement du type de productions qui auront jalonné la carrière du réalisateur – petit film intimiste et grosse production – Uranus n’est en effet pas aussi personnel et poignant que Le Vieil Homme et l’enfant (son beau premier film de 1966) mais moins engoncé dans sa logistique de fresque historique que Lucie Aubrac sorti en 1996. Les années précédentes, plusieurs œuvres s’appliquèrent  à écorner l’image d’Epinal d’une France toute résistante telles que M. Klein de Losey (976), Lacombe Lucien (1974) de Louis Malle ou le documentaire Le Chagrin et la pitié de Marcel Ophüls. L’aura héroïque de la Résistance, indispensable pour souder une nation passée par cinq ans d’occupation était alors indispensable et s’était propagée dans des films presque révisionnistes (spécialement lors de l’immédiat après guerre) même si L’Armée des ombres de Jean Pierre Melville était bien plus subtil et intéressant. Uranus a ceci de particulier qu’il s’attaque spécifiquement à la période plus controversée encore de l’épuration, pratiquement pas traitée au cinéma. Aidé de la plume acérée de Marcel Aymé, Claude Berri va s’appliquer à dépeindre ce moment étrange que vivait la France.

Un auteur controversé

Parmi les écrivains français majeurs de la première moitié du XXe siècle, Marcel Aymé est coutumier des adaptations cinématographiques de ses œuvres. Le Passe-Muraille, La Jument verte, La Traversée de Paris entre autres, constituèrent autant de jolies réussites que de vrais classiques du cinéma français. La Traversée de Paris justement (nouvelle issue du recueil Le Vin de Paris), exprimait la facette ambiguë de l’auteur à travers son héros (joué par Gabin dans la version cinéma) qui profitait des avantages offerts par l’Occupation allemande tout en dénonçant certains comportements révoltants de ses concitoyens. Aymé se faisait presque le reflet de ce personnage, ayant lui-même eu une attitude discutable et déconcertante à cette période. Après avoir tourné en dérision le régime nazi dans ses textes d’avant guerre, durant l’Occupation, il fournit plusieurs de ses écrits (néanmoins dénués de messages politiques) à des journaux collaborationnistes, tout en fréquentant le réalisateur marxiste Louis Daquin et il travailla même un temps sur un projet au sein de la Continentale Films (société de production financée par les allemands durant l’Occupation dont Tavernier narre les aléas dans son excellent Laisser passer).

Un parcours inclassable qui symbolise parfaitement ce qu’Aymé chercha à traduire dans ses écrits : l’instinct de survie de l’humain prêt à accepter tous les compromis pour ne pas disparaître. Ce qui différenciera les bons des mauvais, c’est le degré de renoncement à ses valeurs, entre la vraie cruauté, le vil profit ou l’indifférence polie. Marcel Aymé ne se place pas au-dessus du lot, loin de là, refusant même la légion d’honneur qui lui est proposée en 1949 du fait de ses antécédents (même si c’est surtout son amitié avec Céline (entre autres) qui lui vaudra d’être légèrement inquiété). Cette lucidité se traduira dans ses œuvres les plus virulentes dont Uranus paru en 1948. Ce roman est le troisième volet d’une trilogie sur la société française, précédé par Travelingue en 1941 sur la période du Front Populaire et Le Chemin des écoliers en 1946 sur l’Occupation. Fustigeant autant les collaborationnistes que les revanchards de l’épuration, Uranus abordait sans fard cette période plus révoltante encore que l’Occupation. Sondant les tréfonds de l’âme humaine comme personne, Aymé devait évidemment avoir quelques problèmes et l’adaptation envisagée dès le succès de La Traversée de Paris ne vit le jour que bien plus tard, quand les rancœurs s’étaient apaisées, sous la houlette de Claude Berri.

Ombres et lumières

Très fidèle au roman, le film de Claude Berri dépeint donc les tensions régnant dans un petit village français au lendemain de la Libération. Suspicion de tous les instants, dénonciations arbitraires baignent le quotidien d’un groupe de personnages formant un microcosme idéal des différents types de personnalités s’étant révélés durant l’Occupation. Les honnêtes gens se sentant coupables de leur apathie quand tout allait mal (Jean Pierre Marielle tout en subtilité), le brave type ayant vaguement traficoté pour arrondir les fins de mois (Gérard Depardieu excellent en bon vivant adepte de la poésie) et les vraies ordures s’étant enrichies au détriment des autres et ayant encore le bras long (surprenant et abject Michel Galabru). Les conflits idéologiques d’alors sont également très bien retranscrits à travers la description des communistes. On y retrouve les acharnés appliquant la doctrine et semant la terreur fort de leur passif de résistants, et également ceux dépassés mais souhaitant réellement changer le pays en prenant le pouvoir. Fabrice Luchini en petit bourgeois étalant sa rhétorique sans nuance ni compassion est brillant, face à lui un Michel Blanc plus mesuré mais tout aussi convaincant.

 


L’image donnée de cette France encore traumatisée n’est pas bien belle, Berri parvenant par intermittence à disséminer l’ambiguïté des écrits de Marcel Aymé. Ainsi l’ancien collaborateur Maxime Loin (joué par Gérard Desarthe) s’avère mesuré et lucide, ne regrettant pas ses choix et ses erreurs tandis qu’à l’opposé, le communiste incarné par Paul Prévost fait preuve d’une attitude révoltante, calomniant à tout va et abusant de sa légitimité. Les forces de l’ordre aux petits soins des puissants ne valent guère mieux. En dépit de ses diverses qualités et son audace, l’oeuvre de Berri souffre de la comparaison inévitable avec l’autre grand film tiré de Marcel Aymé sur la période, La Traversée de Paris. Le ton grinçant, drôle et pathétique de ce dernier s’estompe sous la patine trop manichéenne et didactique du scénario écrit par Berri et Arlette Langmann. Là où les dialogues du classique de 1956 claquaient comme des fouets car idéalement insérés aux différentes situations rencontrées, ceux d’Uranus (pourtant très fidèles) lourdement amenés cèdent au monologue démonstratif et sentencieux.

 

 

Chose vraiment regrettable au vu des prestations époustouflantes d’un casting de luxe, notamment Philippe Noiret résigné et poignant lorsqu’il explique son détachement des choses de la vie suite aux pertes douloureuses qu’il a subies. Néanmoins l’essentiel est préservé, telle cette conclusion cinglante et ironique où, en voulant épargner une exécution sommaire à un personnage coupable, Marielle provoque bien malgré lui la mort d’un innocent.

Titre original : Uranus

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Durée : 100 mn


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