Ce n’est donc pas la première fois que Robert Guédiguian se penche sur l’Arménie, ce beau pays que le génocide de 1915 a forcé à l’exil et à la diaspora. Comme Atom Egoyan en 2002 avec Ararat ou, plus tard, Fatih Akin avec The Cut (2014), il a abordé certes maladroitement le retour au pays avec ce film improbable, Le voyage en Arménie, qui avait quelque peu raté sa cible en restant anecdotique, tout en offrant une dose de mélancolie, aidé en cela par Ariane Ascaride. On la retrouve ici dans ce nouveau film de Robert Guédiguian, peut-être un peu plus sobre dans son jeu, incarnant ici une mère arménienne de Marseille, poussant son jeune fils dans les années 80 à s’engager à fond dans la lutte du peuple arménien pour la reconnaissance du génocide qui organisera depuis le Liban de nombreux attentats criminels.
Une histoire de fou parvient bien à installer la vie d’une famille arménienne, entre tradition et intégration, et c’est une bien belle manière de rendre hommage à ces Arméniens qui, bien que dispersés dans le monde entier, ont su magiquement conserver leurs traditions et leur langue dont l’exemple iconique est bien sûr Charles Aznavour qui a donné son nom à l’une des plus belles places d’Erevan. En s’inspirant de l’histoire de José Gurriaran qui avait été horriblement blessé par un attentat arménien en Espagne, qui a voulu connaître l’histoire de ce pays et rencontrer les responsables de l’attentat qui l’a handicapé à vie, Robert Guédiguian réalise peut-être le film le plus personnel et le plus émouvant de sa carrière. La mère arménienne va pousser son fils à entrer dans le terrorisme, puis au vu des ravages sur le corps d’un innocent, elle n’aura de cesse de rencontrer la victime jusqu’à faire une sorte de transfert sur ce jeune homme mutilé qu’elle va considérer un peu comme son fils jusqu’à ce qu’il le rencontre à Beyrouth, pour terminer le film sur une fin tragique. Robert Guédiguian nous offre ici un film humaniste, ouvert et magnifique d’amour pour l’Arménie, sans éluder aucunement le problème de la violence. Au moment où le monde connaît une nouvelle vague de terrorisme très violent et aveugle, il est nécessaire de se demander si parfois la violence n’est pas nécessaire. Il se le demande par exemple pour le mouvement de l’ASALA : s’il n’avait pas commis autant d’attentats, notamment celui d’Orly en juillet 1983 devant le bureau de la Turkish Airlines, aurait-on alors jamais parlé de la cause arménienne ? C’est dommage qu’il faille toujours en arriver là. C’est une histoire de fou, comme le dit le titre, en référence bien sûr aussi à la folie génocidaire. « Je ne vois pas d’autre moyen d’exprimer tout cela qu’avec cette expression populaire : c’est une histoire de fou !, déclare le réalisateur dans le dossier de presse du film. Les génocides relèvent de la folie. On trouve toujours des raisons objectives ou pseudo-objectives, mais ça reste des folies absolues, avec de folles conséquences. »