Trois mondes

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En voulant raviver la flamme du film noir français, Catherine Corsini signe un long métrage obséquieux et sans âme. Une complainte nostalgique qui peine, même dans son mimétisme, à rappeler les trésors du passé.

De Louis Malle à Alain Corneau en passant par Jean-Pierre Melville ou encore Claude Chabrol, le cinéma français a composé un héritage hors norme en matière de film noir, où inventivité allait de pair avec une griffe incomparable. De temps à autre, comme frappés d’une impérieuse nostalgie pour ce pan du cinéma, une poignée de réalisateurs français épris de bons sentiments s’essayent à leur tour au genre qui faisait encore il n’y a pas si longtemps la gloire du septième art hexagonal (Merci pour le chocolat – Claude Chabrol, 2000). Cette année, c’était notamment Philippe Lefebvre qui, avec le fade Une nuit, tenta un retour aux sources rehaussé de gimmicks très Michael Mann. Avec Trois mondes, Catherine Corsini fait preuve d’une ambition plus grande encore, souvent dépourvue d’humilité.

Comme son nom l’indique, Trois mondes dresse le portrait de trois univers que tout oppose. Personnage central de l’intrigue, Al Al est un jeune homme issu du monde de la proche banlieue parisienne. Son quotidien, c’est celui du travail, celui où l’on se tait, où l’on rase les murs et où l’on courbe l’échine. Ce soir-là, il fête avec ses deux collègues et amis de toujours sa promotion à la tête d’un garage jusqu’alors dirigé par le père de sa future épouse, riche commercial aux méthodes douteuses. Après une soirée bien arrosée, Al Al, ivre, prend le volant et percute violemment un inconnu. Désemparé et pressé par ses deux acolytes, il prend bientôt la fuite. Mais de son balcon, Juliette, une étudiante en médecine, a tout vu. Obsédée par l’accident, elle décide d’aider Vera, une roumaine sans papiers, à retrouver le jeune homme en fuite qui a renversé son mari. Contre toute attente, la mort de ce dernier va s’imposer comme un lourd cas de conscience pour Al Al.

Argument compassé du film choral, la collision fait ici office de lien entre différentes sphères sociales. Celle de Al Al, d’abord, qui promis à une belle carrière, s’apprêtait à délaisser son statut encombrant de banlieusard pour gravir quelques marches de l’échiquier social. Celle de Juliette ensuite, jeune femme évoluant dans le Paris intello-bourgeois, qui poussée par un mécanisme narcissique inconscient, se croit prête à pouvoir venir en aide aux personnes en détresse croisées ici ou là. Celle de Vera, enfin, jeune roumaine sans papiers contrainte de vivre dans l’anonymat pour échapper aux contrôles de police. Entre eux va se tisser un réseau d’inimitiés monnayables mais également – et étonnamment – de complicités. Par leur confrontation, la réalisatrice Catherine Corsini cherche à montrer que le monde est un endroit où tout peut s’acheter. Unique séquence un tant soit peu accrocheuse, aussi poussive et surjouée soit-elle, le moment où Vera s’oppose à une horde de chirurgiens avides d’utiliser les organes de son mari pour sauver la vie d’un autre est étonnant et renvoie à  Le Marchand de Venise de Shakespeare.
  
 

 
 
Seulement voilà, les moyens mis à disposition pour souligner les affres de ce monde en déliquescence tombent souvent à plat. Les incohérences du scénario sont innombrables – la relation simili amoureuse entre Al Al et Juliette en tête. Et à trop vouloir convoquer Jean-Pierre Melville et ses arrière-cours vides, ces lieux abandonnés, la réalisation en scope de Catherine Corsini en devient insipide. Il aurait pour cela fallu réussir à diriger des acteurs capables d’habiter ces espaces désertiques, au même titre qu’un Alain Delon ou un Jean-Pierre Belmondo. Pas que Raphaël Personnaz soit si mauvais que ça, mais il n’y a pas ici suffisamment de matière pour lui permettre de construire des choses en volume, en profondeur. Ne reste finalement dans le film de Catherine Corsini que quelques citations pour le moins vaines consacrées à une poignée de grands classiques, sorte de faire-valoir qui se voudrait un remède à un cinéma sans âme. Ces épigraphes sonnants – et surtout trébuchants – sont comme des revenants éparpillés au hasard des plans.

Non contente d’avoir déserté les limbes dans la série télévisée évènement Les Revenants (Fabrice Gobert), Clotilde Hesme continue d’errer dans Trois mondes. Dans son sillage, des clins d’œil tonitruants à Melville, bien sûr, mais aussi à François Truffaut. Une présence fantomatique et un héritage malheureusement trop lourds à supporter pour les épaules encore trop frêles de Catherine Corsini. Dans le train qui le ramène à sa dure réalité, dans la dernière séquence de Trois mondes, Al Al est cadré en gros plan l’espace d’un long plan fixe, perdu dans le flot de ses pensées. Une laborieuse citation renvoyant à la fin de Les Deux Anglaises et le continent (1971). Malaise : Catherine Corsini n’est pas François Truffaut et Raphaël Personnaz n’a rien d’un Jean-Pierre Léaud.

Titre original : Trois Mondes

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Durée : 101 mn


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