On dirait la planète Mars

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Dans l’espace, personne ne vous entendra déprimer.

Un huis clos aérospatial qui n’a rien à envier à Sunshine

La quarantaine bien tassée, la crise qui va avec, bien matelassée, David est un professeur de sport qui s’habille en couleurs ternes et qui se sent anxieux alors qu’il passe le test de personnalité le plus important de son existence. Interprété avec beaucoup de terrianité par Steve Laplante, David rêve pourtant aux étoiles : Une colorimétrie parfois très rouge et une série d’hommages à 2001, l’Odyssée de l’espace nous le font bien comprendre. Ce n’est pas qu’il est naïf ou nuageux, comme garçon. Au contraire, il est très consciencieux, qualité qui lui apportera un avantage dans son désir de changer de vie, dans sa quête d’un sentiment d’appartenir à un schéma littéralement cosmique. Et c’est un hasard si l’opportunité qu’on donne à cet adulte dégarni à la fin de cet entretien va de pair avec le fantasme par excellence de beaucoup de mini-hommes, à savoir celui de devenir astronaute. Enfin, de presque devenir astronaute.

David, en effet, participe à un programme. Organisé par une société appelée Viking, il s’agit d’une reconstitution-miroir en conditions très strictes d’une mission habitée vers Mars qui a lieu au même moment. Viking, c’est aussi le titre original de l’œuvre au Québec : Faisant s’attendre au spectateur des images de scandinaves aux abdos suintants et aux rages indomestiques, On dirait la planète Mars nous fait en réalité suivre un petit univers de cohabitation/colocation, ses décors à la teneur Ikea nous faisant passer par tous les murs du théâtre convenu sauf le quatrième. La gestion de cet environnement sous cloche est maline : Propre pour les yeux, et impropre à toute personnalisation trop familière, comme dans une colonie de vacances, quand on vient d’arriver et qu’on est encore habitués à rien. Proche de ce qu’on peut appeler des cinémas de miniatures, cette scénographie est simple et compétente – Et elle esquive les reproches qu’on peut faire à un Wes Anderson, puisque cette simplicité et cette compétence sont justifiés par l’intrigue !

L’enfer étant les autres, on préférerait être Seul sur Mars

Le film parle bien de masculinités. Pas celles de guerriers nordiques, mais celles d’un homme jeune, d’un homme moins jeune, et d’un homme bien moins jeune. Ce dernier, joué par Denis Houle, tient le rôle de « Liz » dans la simulation de Viking. Sa personnalité était apparemment la plus compatible avec celle de cette exploratrice de l’espace qui apprécie jardiner. David, quant à lui, sera aux prises avec « Janet » (Fabiola Nyrva Aladin), cheffe de groupe aussi soupe au lait qu’il l’est, mais dont la position de pouvoir rend impossible tout espoir d’entente. Un homme qui joue une femme, et un homme jaloux du statut d’une femme, donc. Du reste, on l’aura compris, le film est à peu de choses près un huis clos sur fond spatial. Parfois, il emprunte aussi à la téléréalité, avec des responsables de programme qui viennent périodiquement donner des nouvelles du monde extérieur et recueillir des comptes-rendus, c’est-à-dire des confessionnels.

Quiconque a déjà regardé une émission de téléréalité y aura appris qu’il ne suffit pas d’enfermer des personnes ensemble pour qu’elles apprennent à s’aimer. La coopération demande des efforts – Et ces efforts sont de nature à demander un sacrifice d’égo rarement possible pour des gens qui ont une vie qui les attend à la maison. Viking (la compagnie) aura beau demander aux personnages de faire comme s’ils étaient des copies carbones de leurs doubles-astronautes, ils ont bien une vie à la maison ! Dans ce terreau de tension, le film s’épanouit, il est souvent drôle, parfois touchant. Il n’est pas aussi surprenant que le récent Sans Filtre (par moments un pseudo-Koh-Lanta face au crypto-Loft-Story de cette œuvre), mais il est abouti, bien plus qu’un titre aussi sobre et observationnel n’aurait laissé penser ! On dirait la planète Mars. Mais ça ne l’est pas. C’est un jeu, un exercice de comédie.

Un scénario dextère écrit par Eric K. Boulianne

Quatrième production de son réalisateur Stéphane Lafleur, On dirait la planète Mars a été tourné à Vaudreuil, au Québec, et vers Calgary, en Alberta. Mais si les personnages du récit sont bien des canadiens francophones, deux indices tardifs tendent à me faire croire que le film est censé se passer dans un désert aux Etats-Unis, des reliefs rustiques et arides aidant les protagonistes à s’imaginer être sous d’autres cieux. Ces protagonistes, alors, seraient des acteurs qui jouent le rôle d’astronautes, dans les régions du Nevada ou du Colorado qui ont historiquement le plus servi aux tournages de films sur le devenir interplanétaire. Une comédie rusée, On dirait la planète Mars pourrait aussi être un commentaire : Un film sur le jeu, et sur la représentation. De quoi un homme ordinaire rêve-t-il ? Quel problème cela résout-il pour lui, d’incarner une figure qu’il n’est pas ? Viking prétend que cette mission permettra à des chercheurs d’obtenir des informations sur la vraie : Peut-on en être sûrs ? Et si elle échoue à dégager de nouvelles données, cela voudra-t-il dire que ces acteurs ont mal joué ?

Comme souvent quand on regarde une performance, on apprend plus dans ce film sur les personnes qui jouent des rôles que sur les personnages qui sont joués. Et, il faut le dire, les comédiens qui incarnent ces comédiens sont tous à suivre. Pour un public français, ils seront une fenêtre sur le potentiel d’une génération d’acteurs québécois : Larissa Corriveau, très astucieuse, avait déjà joué un rôle ternaire pour Villeneuve. Hamza Haq, lui, avait déjà joué un rôle quaternaire pour Dolan. L’artiste le plus adroit du film reste celui qui est à son centre : Laplante, absolument hilarant en féministe endimanché dans Babysitter (Monia Chokri), est moins drôle mais plus émouvant dans ce film. Hésitant et contradictoire, il est parfaitement au diapason dans cette œuvre qui nous rappelle que les relations sociales et les sentiments de complétion, ultimes frontières, ne seront pas réellement domptés par la technologie. Le film est peut-être plus actuel que lui-même ne le pense, à l’heure où le magnat autoproclamé du voyage vers Mars est aussi devenu le gourou du plus embarrassant des réseaux sociaux. Si l’espace, les trahisons et les disputes fusionnent, il nous faudra le dire : Ce film l’avait prédit !

Titre original : Viking

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Durée : 104 mn


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