Entièrement filmé dans l’Oregon, lieu de tournage affectionné par la cinéaste, le film fait preuve d’un formalisme serein, attentif aux bruits et circonvolutions des paysages naturels, une lenteur face à la sérénité des étendues de forêt. En un sens, la mise en scène épouse la vie isolée de ces "granos" vivant en communauté, travaillant la terre comme des fermiers du XIXe siècle avant de vendre leurs produits au marché.
Sans jugement, la cinéaste montre des militants devant des documentaires choc sur le désastre écologique que subit la planète ; la scène évoque l’endoctrinement par le catastrophisme, la fascination de l’image partisane. Les personnages évoluent dans une bulle théorique si intense, si concentrée et repliée sur elle-même qu’elle en devient irréelle. Tout le film baigne d’ailleurs dans une atmosphère éthérée, parfois proche du songe éveillé.
Une scène notamment, juste avant le sabotage, où les trois personnages sont attablés près d’un lac. Surpris par un marcheur qui les aborde et tente innocemment de discuter, les trois activistes se figent, glacés et glaçants, provoquant une série de champs/contrechamps entre l’homme gesticulant et eux, aussi immobiles que sur une photo. La cinéaste extrait de ce moment l’essence d’une caractérisation des personnages vraiment réalisée in situ : figés dans la perspective de leur mission, tout entiers dédiés à leur cause, les personnages ne voient pas l’humain devant eux, juste un obstacle, alors qu’il s’agit probablement de l’homme qu’ils vont noyer.
Excellente directrice d’acteurs, la cinéaste dispose par ailleurs d’un casting impeccable, emmené par Jesse Eisenberg, chez qui les déchirements intérieurs sont gravés sur le visage. Jambes arquées, voix nasillarde et débit de mitraillette font du new-yorkais d’à peine 30 ans l’un des physiques les plus identifiables du cinéma américain contemporain. Le derniers tiers du film repose entièrement sur un bon nombre de gros plans de son visage et sur les nuances incroyables de son jeu, de la terreur pure à la détermination glaciale. A ce titre, la dernière scène du film, dont on n’est pas bien sûr d’avoir saisi toute la portée, jette sur le film entier une ombre grinçante, équivoque. On peut y deviner une porte de sortie pour un personnage, par son intégration au consumérisme. S’anticipe alors le mouvement le plus cynique du film : un reniement de ses principes pour la survie la plus élémentaire.