Miss Peregrine et les enfants particuliers

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A la veille de la sortie en salles de « Dumbo », retour sur le précédent film de Tim Burton « Miss Peregrine et les enfants particuliers ».

Ils sont loin, les monstres sympathiques des débuts de Tim Burton. Dans Miss Peregrine et les enfants particuliers, les images de synthèse, parfaitement lisses, ont radicalement arasé les aspérités des monstres burtoniens, qui, depuis Beetlejuice (1988), Edward aux mains d’argent (1990) ou encore L’Étrange Noël de Mr Jack (Henry Selick, 1993), distinguaient l’auteur au sein du genre fantastique. En soi, Miss Peregrine n’est pas un mauvais film : récit rondement mené, images léchées, jeu d’acteur correct. Mais voilà, tout est correct. Trop policé. Trop classique pour un Burton, qui ne fait que poursuivre la lente stagnation cinématographique qui l’afflige depuis Alice au pays des merveilles (2010).

Prenons le jeu des acteurs, qui multipliaient les saillies sarcastiques et les traits d’humour dans les meilleurs Burton. Dans Miss Peregrine, les stars sont encore au rendez-vous, mais précisément en tant que stars, non comme sujets aux métamorphoses burtoniennes, à l’instar d’un Johnny Depp ou d’une Helena Bonham Carter. Eva Green, pourtant mise au premier plan par les récits du grand-père et par les affiches promotionnelles, ne tient ici qu’un rôle secondaire, et sa prestation reste bien en-deçà des prodiges d’expressivité qu’elle atteignait dans la série Penny Dreadful (John Logan, 2014-2016) ou de sa séduction excessive dans Dark Shadows (2012), du même Burton. Seul Samuel L. Jackson se démarque du jeu d’acteur général en pratiquant comme à son habitude une autodérision ravageuse ; mais là encore, il apparaît plus comme l’archétype de ses rôles – Pulp Fiction (Quentin Tarantino, 1994), en premier lieu – que comme un méchant de pacotille. Monstres et acteurs s’aplanissent à mesure qu’enfle le budget des derniers films de Burton. L’esthétique carton-pâte et slow motion, qui faisait son originalité – et dont on a une brève réminiscence lors d’un combat de marionnettes borgnes –, a disparu de son nouvel univers fantastique, certes haut en couleurs, mais vide de toute ambiguïté.

Avec peu de moyens, les chefs-d’œuvre passés de Burton faisaient des prodiges, et surtout, ne versaient pas dans une mièvre illusion cinématographique. Mettant l’accent sur leur artificialité – le ver géant de Beetlejuice, les pantins désarticulés de Les Noces funèbres (2005), le grotesque de Sleepy Hollow (1999)–, ils s’affichaient en tant que cinéma, en tant que technique, et donc en tant que puissante force de subversion critique. À l’inverse, Miss Peregrine efface tous les signes de la machine cinéma pour se tourner vers la magie de la transparence. Très inspiré par Le Monde de Narnia : Le Lion, la Sorcière blanche et l’Armoire magique (Clive Staples Lewis, 1950) et Les Aventures d’Alice au pays des merveilles (Lewis Carroll, 1865), ne serait-ce qu’à travers la brèche temporelle et l’obsession de Miss Peregrine pour le temps, le film verse dans un manichéisme moral, où de méchants monstres anthropophages persécutent de gentils enfants « particuliers », digne des contes les plus plats.

Il semblerait pourtant que Burton prolonge un cycle cinématographique, dont la thématique serait le regard. Dominant dans son précédent film, Big Eyes (2015), ce regard se retrouve ici dans les yeux blancs des Sépulcreux et dans leur désir de consommer ceux des enfants. Plus métaphoriquement, Burton multiplie les regards sur son imaginaire cinématographique : le combat de marionnettes rappelle ses premiers films à petit budget, Miss Peregrine s’apparente beaucoup au Lapin Blanc de Alice au pays des merveilles, tandis que son château ressemble grandement à la demeure de Edward aux mains d’argent. Rétrospectif, le regard, dans Miss Peregrine, prend également une valeur mémorielle, tout comme Dark Shadows tente de ressusciter une pêcherie abandonnée. Le film peut s’interpréter, comme le font les parents de Jake, comme une métaphore de la Shoah, discrètement évoquée par le récit du grand-père qui a fui la Pologne et ses « monstres » en 1943, et plus largement de la persécution des minorités. Emprisonnés dans des bulles hors du temps qui les isolent des Sépulcreux, les enfants particuliers vivent dans des réserves dont ils souhaiteraient sortir. Le film ne pousse cependant pas plus avant l’exploration symbolique de l’Histoire. Focalisant son récit sur un manichéisme entre les enfants et les monstres, associés aux nazis et à tous les bourreaux, Burton s’épargne le travail exigeant de la contextualisation historique. Les tumultes de l’Histoire réduits aux dimensions d’une belle histoire avant de dormir…

Titre original : Miss Peregrine's Home For Peculiar Children

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Durée : 127 mn


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