Evacuées les plombantes références revendiquées par Perry, Philip Roth et John Cassavetes en tête, Listen Up Philip laisse se déployer son véritable enjeu : raconter la trajectoire d’un jeune homme arrogant, dont on ne sait jamais trop, c’est l’atout majeur du film, si on l’aime ou si on le déteste. Très lettré, le film s’amuse à déconstruire les clichés d’un cinéma d’auteur où la littérature est l’élément-clé : ici, le succès de la sortie d’un livre est propre à alimenter toutes les névroses, dans une ville (New York, filmée de manière anti-romanesque) aussi bien terrain fertile de l’imagination que machine à broyer. Lena Dunham, dans sa formidable série Girls, tricote à peu près le même motif, à savoir celui d’un espace mental (l’art) et physique (la ville) où le groupe et la création artistique renvoient paradoxalement à la pire solitude ; où la nécessité de créer, génératrice d’un ego surdimensionné, implique fatalement à plus ou moins court terme un déplacement. C’est, ici, dans la maison de campagne d’un vieil écrivain célébré que se jouera la bataille des egos (“à ton âge, j’avais déjà une oeuvre bien plus conséquente”, dit Ike à Philip) qui, d’une admiration réciproque, débouchera sur une nouvelle consécration de l’individualisme.
Listen Up Philip est délicieusement cynique, creusant par là-même le sillon du cinéma de Woody Allen, où l’intelligence et la mécanique de la réflexion engendrent de douloureuses considérations. Sur soi, mais surtout sur les autres, avec lesquels Philip tente de vivre sans jamais pouvoir les trouver à la (sa) hauteur : il y a qu’Ashley, sa petite amie photographe délaissée, ou Yvette, la séminariste française et nouvelle conquête de l’université où il enseigne un temps, sont, elles, très satisfaites de leurs accomplissements, là où lui ne trouve même plus de plaisir dans la promotion de son livre (Philip refuse bientôt toute publicité). Et que Philip ne saurait s’abaisser à un sentiment aussi bas que le contentement. Si Listen Up Philip ne sombre pas dans le nihilisme primaire, c’est grâce à un humour à froid salvateur, dont on ne voit pas qui d’autre que Jason Schwartzmann aurait pu l’incarner si pleinement. Filmé comme un objet d’étude, de zooms successifs en plans tremblotants, Alex Ross Perry se glisse littéralement sous sa peau et dans sa tête (l’utilisation de la voix off est ici exemplaire), pour dire finalement la singulière et triste histoire d’un petit con égoïste, racheté in extremis par une désarmante humanité.