Après une pluie de récompenses aux Goya 2021 (neuf nominations, cinq prix) et un passage au festival de San Sebastian, Les Sorcières d’Akelarre, nouveau long-métrage du cinéaste argentin Pablo Agüero, se voit bénéficier d’une sortie en France accompagnée par une généreuse campagne promotionnelle.
L’histoire est celle d’un groupe de six jeunes femmes arrêtées et accusées à tort de sorcellerie, au Pays Basque, à l’aube du XVIIème siècle. Face à l’aveuglement et à la perfidie de leurs interlocuteurs, pour gagner du temps, elles vont devoir jouer leur jeu, leur dire ce qu’ils veulent entendre et ainsi se faire passer pour de vraies sorcières…
Les Sorcières d’Akelarre n’est donc pas à proprement parlé un film de sorcières. Il n’est pas question de sortilèges, de démons ou de magie noire, mais d’hommes aveuglés par des légendes absurdes et de femmes qui, plus que pour survivre mais également pour reprendre le pouvoir, n’ont d’autre choix que d’épouser ce dérèglement, de faire corps avec lui. En effet, en voyant que toute résistance est inutile et que la vérité ne sera jamais entendue, ces jeunes femmes décident de jouer la comédie, de recréer du récit autour de celui que ces hommes se racontent : face au silence et à la mort, elles choisissent le don d’expression que permet la fiction. Le seul sortilège au sein du film de Pablo Agüero serait ainsi celui du fantasme et de l’imagination. En effet, alors que les autorités se laissent peu à peu avoir par l’écran de fumée fantasmatique des jeunes femmes, le long-métrage se transforme en une étude passionnante du pouvoir de fascination d’une histoire et de l’arme qu’elle peut devenir face à un ennemi, un oppresseur. De plus, en nous donnant à voir le regard, les réactions, et en un sens, les motivations de ces hommes face au spectacle de ces jeunes femmes, Agüero et sa co-scénariste Katell Guillou insistent sur la matière même qui constitue ces récits et légendes meurtrières : à savoir les désirs et peurs d’une époque qui peine à dissimuler derrière la religion et les histoires de sorcellerie, ses fantasmes et pulsions misogynes.
Mais plus qu’un objet théorique, toute la beauté des Sorcières d’Akelarre réside dans le regard qu’il porte sur ces jeunes femmes, comment il les met en scène. Gros plans inquiétants, mouvements amples hachés par le montage ou encore focale courte déformante : si le scénario de Pablo Agüero et Katell Guillou ne nous trompe jamais sur l’innocence de ces jeunes femmes, la caméra du cinéaste, son découpage, sa lumière et son travail du son, épousent le regard masculin des autorités, entre inquiétude et fascination. Le film travaille ainsi un double mouvement riche intellectuellement et stimulant formellement où ces innocentes victimes sont filmées comme des sorcières, questionnant ainsi notre regard, sans pour autant mutiler notre empathie. De plus, cette ambivalence stylistique permet, lors de certaines séquences de manipulation, de se faire côtoyer, avec une souplesse et une aisance émotionnelle surprenante, la tension de voir les héroïnes se faire démasquer, le malaise du premier degré de la mise en scène et le grotesque, voire la drôlerie, de la supercherie.
Enfin, si le découpage et le récit d’Agüero ont une fâcheuse tendance à la précipitation, fauchant ainsi, parfois, l’implication du spectateur, la richesse thématique, stylistique et émotionnelle du film, l’emporte sur ses maladresses formelles et scénaristiques.