Derrière le personnage d’Henry Walton Jones, alias Indiana Jones, ou encore Indy l’archéologue, désormais incontournable, se cachent deux cinéastes à la stature reluisante et colossale : Spielberg et Lucas. Début des années quatre-vingt, le premier possède déjà derrière lui des succès tels que Les Dents de la mer et Rencontres du 3ème type. Pour son sixième long métrage, le réalisateur américain aimerait s’atteler à la saga des James Bond, mais le projet lui est refusé sous prétexte qu’il faut être originaire d’Outre-Manche. Spielberg est dépité mais ne sombre point dans l’inertie, car un autre projet se profile devant lui. Sur les plages hawaïennes, George Lucas pose les prémices d’une saga de films d’aventures. Il présente à Spielberg Indiana Jones, personnage tirant son inspiration première des comics et des films d’aventures des années 30 et 40, tels que Terry and the Pirates, Blackhawk et Le Trésor de la Sierra Madre.
La charpente du long métrage est simple et sans prétention : un aventurier part dans une sorte de chasse au trésor et rencontre sur son chemin des ennemis redoutables convoitant le même objet sacré que lui. Les péripéties se déroulent de part et d’autre de l’univers, au sein d’une jungle tropicale ou d’un paysage désertique.
Premier plan du film, une montagne. Celle-ci fait écho au logo de la Paramount (elle figurera également sur le gong, instrument sur lequel s’ouvre Indiana Jones et le temple maudit). Puis, place à la silhouette d’Indiana Jones, vue de dos et se dirigeant vers cette cime. L’archéologue s’approprie le terrain d’aventures en invitant le spectateur à suivre son chemin semé d’embûches et de rebondissements.
Un gros plan sur une main agile, qui sort le fouet aux coups cinglants ; un autre sur un visage au chapeau mou, rigoureusement vissé. Le mythe d’Indiana Jones naît. La coiffe de l’aventurier est recouverte de toiles d’araignées après sa première mission, car c’est bien dans la poussière, la mythologie et l’Histoire, que l’archéologue va s’engager. L’allure du personnage est fortement inspirée de celle d’Harry Steele (Charlton Heston dans Le Secret des Incas).
Mais le personnage d’Indiana Jones est polymorphe. De retour au pays, il endosse sa cravate méticuleusement nouée, son costume soigneusement repassé, et arbore sa petite paire de lunettes pour se mouvoir près d’un tableau, près de craies, d’encyclopédies et de mappemondes. L’homme a tout de l’attirail du professeur éminent d’archéologie, mais il est également attiré par le terrain.
Le premier volet de la saga rime avec simplicité, mais pas avec dénuement.
1936 : Indiana Jones est sollicité par des agents de services secrets ainsi que par Marcus Brody, son ami et consevateur du National Museum de Washington, pour partir à la recherche de l’Arche d’Alliance, contenant les Dix Commandements, et qui présenterait des pouvoirs incommensurables. Les opposants ne sont autres que les nazis, qui cherchent à créer une armée invincible grâce à cette fameuse arche. Et voilà Indiana Jones, en route pour un voyage dont on suit le tracé sur une carte évoquant les pérégrinations des grands explorateurs des 15ème et 16ème siècles, Magellan, Colomb, Amerigo Vespucci ou encore Vasco de Gama. L’Histoire de la conquête se relit, se revit.
Les Aventuriers de l’Arche Perdue affiche un certain manichéisme et souffre de quelques stéréotypes, mais le tout demeure jouissif. Dans le bar, situé dans un no man’s land d’Asie, Spielberg joue avec les clichés du western, en mettant en scène la tenancière des lieux, concentrée à ingurgiter des tords-boyaux cul sec, au milieu d’une foule parieuse et beuglante. Autre poncif, autre pointe d’humour : l’ennemi allemand tout de noir vêtu, le front très dégarni et les petits yeux abrités derrière des lunettes rondes, sans oublier évidemment l’accent, ni le Herr Machin, avec lesquels le personnage de Marion Ravenwood s’en donne à cœur joie ! La séduisante jeune femme, un peu hargneuse, apporte une note comique au film, par ses répliques toujours en décalage avec les situations (Vous n’avez pas le droit de faire ça ! Je suis Américaine ! s’écrie-t-elle lorsque les ennemis l’emportent dans la jatte) ainsi que par son jeu très théâtral. Sa tenue évasée, blanche et rouge, lors de la scène de son propre enlèvement, évoque un habit clownesque. L’humour se fait parodique parfois, comme dans cette scène au cours de laquelle le singe espion imite le salut hitlérien. Parodie qui sera reprise dans Indiana Jones et la dernière croisade avec la présence explicite du dictateur.
Seul reproche véniel : le manichéisme du film qui oppose les nazis et les Américains de façon rudimentaire. Les scènes du désert, parsemées de tons ocre et kaki, connotent l’expédition menée par l’archéologue français, René Belloq, allié des Allemands, et inscrivent le film dans un contexte belliqueux. Les symboles renvoyant à l’ennemi sont flagrants. Dans l’embarcation transportant Indiana Jones, à la fin du film, un rat apparaît tout près de la cargaison qui contient l’Arche Perdue, et sur laquelle est peinte une croix gammée. Dès lors, les drapeaux hitlériens se multiplient. Ils accentuent le danger qui guette Indiana, mais leur présence est redondante. Le vif motif du Mal se parsème.
Les clichés fusent, mais n’entament en rien la réussite du film, qui tire son épingle du jeu grâce à un canevas tout à fait hypnotisant et exubérant, certes. De multiples rebondissements viennent jalonner le rythme du long métrage, ainsi que diverses scènes d’extérieur, rixes de rues, cascades et guet-apens tous aussi impressionnants, au creux d’une atmosphère contenant un brin d’humour. Pour agrémenter le tout, la musique aux rythmes allants et signée John Williams, lequel avait également œuvré pour Superman et Star Wars. L’appropriation des croyances bibliques et mythologiques par Spielberg participe également à la réussite du film. La fin, au cours de laquelle Indiana Jones et Marion ferment les yeux pour échapper au pouvoir absolu de l’Arche qui sévit sur les Allemands, renvoie à l’épisode de Persée, contraint d’éviter le regard de Méduse sous peine d’être pétrifié pour l’éternité.
Bientôt trois décennies se sont écoulés, et le célèbre archéologue n’en finit pas de susciter un énorme engouement, engouement qui se lit dans les longs métrages qu’il a influencés, tels que A la poursuite du diamant vert de Zemeckis, Le Temple d’Or, et plus récemment, la trilogie de La Momie, les aventures de Lara Croft et la saga de Benjamin Gates. Les émules se multiplient, mais Indiana Jones demeure le mythe de l’aventurier au carrefour de l’Histoire, de croyances, de la fouille, du mystique et de religions, rendant captivantes ses péripéties.