Le refuge d’Ozon, c’est Carré… ment bien !

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A l’occasion de la sortie en salle du nouveau (beau) film de François Ozon, « Le refuge », rencontre avec ce cinéaste insaisissable et sa nouvelle égérie, Isabelle Carré.

Identifier l’insaisissable François Ozon à la seule cadence singulière de ses films (un par an), c’est évidemment réducteur. Il faut reconnaitre, cela étant, que cet aimable manipulateur ne facilite guère la tâche de ses spectateurs, alternant fausse sitcom perverse, comédie scintillante de stars, drame intimiste à rebours, romance en costumes, conte fantastique… Serait-ce que l’artiste, inclassable, ait l’âme d’un explorateur ? A moins que ne se niche, derrière son sourire d’éternel jeune homme bien peigné, une boulimie bien plus vertigineuse…

En guise de réponse : Le refuge, nouvel opus tourné dans l’urgence, qui, en brassant plusieurs de ses thèmes précédents – l’absence, la transmission, la maternité –, témoigne en tout cas d’une juste cohérence. Même si – tiens donc – elle s’ordonne autour… du manque. Heureusement comblé cette fois par la silhouette arrondie d’une nouvelle venue dans la galaxie Ozon : celle, enceinte, d’Isabelle Carré. On est donc d’autant plus ravi de rebondir avec eux sur une poignée de pistes et d’indices. Histoire d’essayer d’identifier – au moins un peu – cet étrange cinéaste français…

Urgence

– François Ozon : « A partir du moment où Isabelle a dit oui à ma proposition, à savoir d’être filmée alors qu’elle était véritablement enceinte, il a fallu aller vite. En gros, on avait trois semaines. C’est pour cela que j’ai eu besoin d’un co-scénariste. On a commencé par tourner les scènes du pays basque, là même où se trouve le fameux "refuge" du personnage joué par Isabelle. Ensuite, j’ai attendu qu’elle accouche. J’ai alors écrit la fin du film, pour qu’ensuite on puisse la tourner .

– Isabelle Carré : « Ma première réaction, quand il m’a montré son scénario, qui ressemblait d’ailleurs plus à un synopsis, a été la surprise. Mais en même temps, j’étais très contente de rencontrer François, que j’admire beaucoup. Même s’il a fallu se lancer très vite, dans les 3 semaines, on a beaucoup discuté. J’ai pris le temps de réfléchir : qu’est-ce que c’est que d’être enceinte et de jouer ? Est-ce que cela va nuire à mon enfant ? Et en fait non !

Grossesse

– F. O. : « Depuis longtemps, je rêvais de faire un film avec une actrice vraiment enceinte. La maternité est un thème que j’ai souvent abordé, mais je n’avais jamais montré la grossesse en tant que telle. Le fait est que le rythme biologique d’une femme enceinte et celui d’un tournage, ce n’est pas du tout la même chose ! Au bout de 5 ou 6 prises, Isabelle était crevée. Il a fallu faire attention, s’adapter à son état.

– I. C. : «  Je ne voulais pas utiliser mon enfant ou que lui, plus tard, se sente utilisé… En même temps, sa présence, elle était là, on était vraiment connectés. En fait, j’ai ressenti ma grossesse de façon complètement épanouissante. Alors que le personnage, lui, ne fait aucun effort. Il y a une certaine honnêteté chez elle, c’est vrai, mais elle s’enferme dans sa souffrance. Tout est refuge pour elle : la drogue, la maison et sa grossesse. On était donc très loin l’une de l’autre et c’est ça qui était bien. Je pense que si j’avais eu moins d’expérience comme actrice, cela aurait été sans doute plus compliqué, aussi…

Drogue

-F. O. : « Je me suis beaucoup inspiré des photos de Larry Clark, qui montrent ce que la défonce comporte de souffrance mais de plaisir aussi. Pour la scène du shoot, en tout cas, il me semblait nécessaire de montrer la réalité. On avait une ancienne toxico sur le plateau avec nous, pendant le tournage, qui nous a beaucoup aidés. Je ne voulais pas que cette scène soi complaisante, mais qu’elle soit concrète et désagréable à voir.

– I. C. : « François m’a demandé de parler avec un médecin, de ce que cela représente d’être enceinte et droguée. Je l’appelais dès que j’avais une question. Il m’a raconté des choses très concrètes, qui m’ont aidée dans les gestes. Comme le fait que prendre de la Méthadone ressemble à boire du sirop. Donc, ensuite, on a envie de passer sa langue sur ses lèvres, de rincer sa bouche…

Mélodrame

– F. O. : « Pour moi, Le refuge, c’est un mélodrame sec. Il y a un certain lyrisme, aussi. Mais les choses, l’ambiance, viennent du personnage, essentiellement. Et elle a une dureté, elle retient… J’aime bien que dans les films tout ne soit pas expliqué, même si, peut-être cela frustre certains spectateurs.

– I. C. : « Avant le tournage, François m’a demandé de voir Tout ce que le ciel permet, de Douglas Sirk et Tous les autres s’appellent Ali, de Fassbinder. Des mélodrames magnifiques. De fait, moi je pense que même s’il faut toujours avoir un petit coin de légèreté, après, il faut aussi savoir plonger dans l’eau froide. Parce que le seul vrai danger, ce sont les gens qui ne peuvent pas s’exprimer. En cela, je me sens très privilégiée…»

Propos recueillis par Ariane Allard

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