“Pourtant, je pense qu’avant de mourir j’aimerais aller en Inde – ne serait-ce que pour que les fantômes qui dansent dans ma tête comme des feux follets sur l’eau puissent s’apaiser.”_Chitra Banerjee Divakaruni
À Bombay, la capitale grouillante de la province Maharashtra en Inde, se croisent sans jamais se rencontrer les classes moyennes et populaires du pays. À première vue rien ne rassemble donc notre duo principal : Miloni est une jeune femme brillante à l’avenir professionnel prometteur qui vit encore au domicile parental alors que Rafi, photographe trentenaire pour touristes qui donne le moindre roupie (monnaie officielle de l’Inde) afin de tenter de rembourser les dettes de son père et récupérer la maison familiale pour sa grand-mère, fait partie des invisibles. Et pourtant ces deux là vont voir leur destin s’entremêler. Cette semaine sort le nouveau film du réalisateur indien Ritesh Batra qui après le succès de The Lunchbox et, une production américaine pour Netflix, nous revient à nouveau avec une histoire d’amour entre un homme et une femme que tout oppose. S’il a déjà réussi par le passé à séduire avec cette thématique, notamment lors de la présentation de The Lunchbox à la semaine de la critique à Cannes, cette fois Le Photographe convainc sans pour autant attiser la passion.
« Dans quelques années en regardant cette photo, vous sentirez le soleil sur votre visage, le vent dans vos cheveux,et vous entendrez à nouveau cette clameur…
Quand la trappe au sol s’ouvre c’est pour servir de porte d’entrée ou de sortie à l’exigue pièce de moins de dix mètres carré qui abrite une demi douzaine de personnes. Baignée dans la pénombre et la chaleur étouffante la seule échappatoire reste le balcon de fortune sur lequel sort régulièrement Rafi quand il a besoin d’être seul ou que le monde l’empêche de dormir. Ces scènes sont sans nul doute représentatives du film en lui-même, la lecture est claire, évidente même, car chaque plan est attendu, logique, comme s’il ne fallait prendre aucun risque afin d’assurer une narration facilement compréhensible au public. Ici pas de zooms inlassables ou de plans de coupe stylisés, on va à l’essentiel pour se concentrer uniquement sur les deux personnages principaux que l’on suit en permanence. Les seules incartades sont les plans d’ensemble en début de séquence servant à contextualiser les images à suivre. Le mot qui semble régner en maître est “neutralité”. Malgré tout on sent que ce n’est pas tant par manque d’inspiration que par réel choix du réalisateur, en effet la chorégraphie des foules en arrière-plan est rondement menée et chaque décor réussi à donner les informations nécessaires afin d’identifier les lieux liés au niveau de vie de Rafi ou de Miloni. Le plus gros du travail semble avoir été fait sur la lumière, celle-ci est travaillée pour être plus que le banal jour/nuit. L’ensemble du métrage alterne entre une clarté éblouissante et une lumière verdâtre qui joue sur l’image, la rapprochant des fameuses photos développées par Rafi.
… Ou bien tout sera perdu. À jamais. »
Miloni a des parents qui ont de l’argent bien qu’ils ne soient pas de la plus haute classe de Bombay, elle est jolie — plus en photo qu’en réalité d’après un comparse de Rafi ; et comme depuis la nuit des temps dans les films de Bollywood elle va s’enticher du prolétaire qui n’a rien à lui offrir d’autre que son amour. On pourrait alors sciemment faire l’erreur de s’attendre à des couleurs qui vous décollent la rétine ou des chansons d’amour aux chorégraphies endiablées alors que le héros poursuit sans relâche sa princesse, on serait dans ce cas interloqué de se rendre compte que Le Photographe est tout sauf un film bollywoodien, il en est plutôt son cousin éloigné version cinéma indépendant. Ici pas de superflu, pas d’expressions surjouées ni de rebondissements mélodramatiques, les personnes ont bien au contraire conscience de leur propre schéma narratif et nous offrent un réalisme aux antipodes de la thématique attendue de départ. Le duo principal, Nawazuddin Siddiqui et Sanya Malhotra, joue avec justesse et l’absence de longues tirades dans les dialogues est appréciable. Les véritables enjeux sont dans leurs yeux.
Pourtant le film reste difficilement accessible dans son entièreté car persiste un manque profond de compréhension de la situation sans une réelle connaissance culturelle de l’Inde. De plus, bien que l’on puisse relever certaines scènes avec un fort impact émotionnel ou faisant écho directement à la situation sociale indienne, comme dans un échange entre Rafi et sa grand-mère Dadi, qui aborde la misère de leur famille, on reste tout de même avec un désagréable sentiment d’inachevé. En cause certains éléments scénaristiques, comme le fantôme Tiwari, qui sont exploités de manière bancale et s’essoufflent rapidement, dommage.
Ritesh Bafa nous livre ici un quatrième long métrage dans la lignée de sa production indienne précédente sans pour autant que cela soit redondant. On sent la sincérité dans la réflexion autour de la modification de la société indienne et l’envie de proposer une œuvre différente des films bollywoodiens dont il dit lui-même s’être inspiré. L’amour du réalisateur pour Miloni et Rafi traverse les presque deux heures de film et on ne peut que saluer l’honnêteté de la démarche. Le Photographe ne marquera probablement pas l’histoire mais il restera le souvenir agréable d’un dimanche après-midi au cinéma.