John Ford revisite une débacle légendaire et en profite pour réviser une image des indiens dont il se sait en partie responsable.
Le Massacre de Fort Apache est le premier volet de la trilogie que consacrera John Ford à la cavalerie américaine, suivi plus tard de La Charge héroïque (1948) et de Rio Grande (1950). John Wayne jouera dans les trois films, incarnant le même personnage de Kirby York qui gravira les échelons de l’armée et gagnera en âge au fil de la trilogie. Le film inaugure la collaboration de Ford avec le scénariste et ancien journaliste Frank S. Nugent (l’échec de son film précédent Dieu est mort – 1947 – ayant stoppé la collaboration avec Dudley Nichols qui l’accompagnait depuis les années 30) qui sera à l’écriture de tous ces grands films à venir. John Ford l’incite à lire le roman Massacre de James Warner Bellah qui sera une source pour ce film qui s’inspire librement de la bataille de Little Big Horn perdue par le général Custer contre les Sioux en 1876. Ce fait historique aura déjà donné un grand film (largement romancé) signé Raoul Walsh avec La Charge fantastique (1941) mais John Ford ne transposera pas directement les évènements, changeant les noms, les lieux et romançant les protagonistes tout en respectant le déroulement et la topographie de la vraie bataille. Cet espace fictionnel lui permettra ainsi d’exprimer au mieux sa vision.
La description de l’armée dans le film constitue une opposition entre la collectivité et l’individu. Ces deux notions s’expriment à travers le personnage du Lieutenant-Colonel Owen Thursday (Henry Fonda) – et dans une moindre mesure l’agent du gouvernement corrompu joué par Grant Withers – et son opposition à pratiquement tous les autres protagonistes. L’affectation au poste de Fort Apache est pour les autres personnages un devoir dont ils s’acquittent et ne discutent pas, voire même un motif de retrouvailles familiales pour le jeune lieutenant Michael O’Rourke (John Agar). Pour l’ambitieux Thursday, c’est une régression après les hautes responsabilités qu’il tint durant la Guerre de Sécession. Cela entraînera une froide distance entre lui et ses hommes, sa frustration et son sentiment de supériorité l’amenant à une rigidité sans nuances. Ford lui donne les contours de l’autorité opaque et désincarnée qu’il mettra constamment en opposition aux chaleureux rapports humains qui régissent le Fort. Le réalisateur l’exprime à travers les amusantes scènes de comédie de régiment où l’apprentissage, la compétence et le respect naissent de la camaraderie. On rit ainsi de voir les nouvelles recrues moquées et bousculées dans leurs découvertes des bases, les officiers les leur inculquant dans un mélange de complicité (les officiers demandant les régions d’origines des soldats avant de les grader durant chaque nouvel exercice) et de franc et rigolard coup de pied aux fesses. La notion de collectif et de ses règles s’inscrit ainsi dans cette alliance d’effort et de camaraderie, l’armée ne formant plus qu’une entité unie en tenant compte de ces deux aspects. On pense aussi aux femmes du fort fonctionnant dans une vraie entraide domestique et, bien sûr, la charmante romance juvénile naissante entre Philadelphia (Shirley Temple dans un de ses derniers rôles au cinéma), fille de Thursday, et le lieutenant O’Rourke.
Sur chacun de ces aspects, Thursday n’aura que des réponses servant son égoïsme. La rigueur militaire s’exprime par une préoccupation tatillonne sur les tenues un mépris social inconcevable dans un collectif formant un monde en soi s’exprimera dans son opposition aux amours de sa fille. John Ford aura introduit ces aspects durant une première heure plaisante nous immergeant dans ces lieux et nous attachant aux personnages (la truculente galerie de seconds rôles de Ford fait toujours son effet), un moment où ce clivage reste sans conséquences. Ce sera le cas lorsqu’il sera question de stratégie, diplomatie et tout simplement empathie pour autrui dans la difficile gestion du problème indien. L’affrontement se restreindra alors au psychorigide Thursday face à Kirby Roy (John Wayne), l’autorité aveugle face au pragmatisme et l’humanité. Henry Fonda fascine dans ce pur masque de dureté impitoyable alors que le charisme du Duke ne cesse de s’amplifier au fil de l’expression des valeurs de son personnage. Le regard bleu et opaque de Fonda s’accompagne d’une posture raide où il semble constamment tourné sur lui-même, imperméable au monde qui l’entoure dont l’agitation ne stimule que des réactions démontrant un esprit obtus (voir la négociation avec Cochise qui tourne court). Cela se ressent dans la manière dont Ford le positionne dans les incroyables décors de la Monument Valley, Fonda ne se fondant jamais dans l’espace et subissant toujours un cadrage restreint (gros plan ou plan d’ensemble où il occupe seul l’image).
A l’inverse le regard de John Wayne semble toujours se porter au loin, preuve à la fois de sa curiosité de l’autre et de la réelle connaissance qu’il en a, Ford osant ainsi fondre sa silhouette dans ce vaste espace désertique et montagneux où il peut déambuler. La menace latente que son ignorance et son mépris de l’autre laisse déteindre s’exprime ainsi par cette vue et espace restreint quand Wayne se déploie avec majesté à l’image. Ce motif sera poussé jusqu’à une mort pathétique et anonyme dans un nuage de poussière pour une défense pathétique quand Ford cadre majestueusement John Wayne baissant les armes au côté de ses hommes, y gagnant le respect et la vie sauve. L’intime et le grandiose se côtoient donc dans un morceau de bravoure sacrément impressionnant. John Ford avec La Chevauchée fantastique (1939) avait figé l’image de l’indien sauvage, belliqueux et anonyme qui deviendrait la norme dans le western américain (et ce quand bien même les premiers westerns muets se montraient très respectueux dans leur représentation des indiens d’Amérique). Il n’aura de cesse de s’excuser d’avoir façonné ce cliché et cherchera toujours à le corriger dans ses westerns suivant (jusqu’à peut-être tomber dans l’excès inverse avec les indiens compatissants et pacifistes de Les Cheyennes (1964), ultime western) et on peut penser que ce changement s’opère vraiment avec Le Massacre de Fort Apache. Sans s’inscrire dans la vague du western pro-indien qui naîtra avec La Flèche brisée (1950), le film représente un peuple indien noble, vertueux, pétri de valeurs et respectueux d’un adversaire qui en vaut la peine comme le montrera l’ultime face à face avec John Wayne. Une grande réussite dont la conclusion annonce déjà la fameuse tirade de L’Homme qui tua liberty Valance (1962), « Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la légende ». L’entité collective de l’armée se voit ainsi renforcée par la disparition « héroïque » du plus individualiste de ses représentants, qui finalement se vérifia dans la réalité avec un Général Custer longtemps dépeint comme un vrai héros national (le classique de Walsh était là pour le prouver). Une des plus éclatantes réussites western de John Ford.
Pietro Germi figure un peu comme l’outsider ou, à tout le moins, le mal-aimé du cinéma italien de l’âge d’or. Et les opportunités de (re)découvrir sa filmographie -telle la rétrospective que lui a consacré la cinémathèque française en octobre dernier- ne sont pas légion. L’occasion de revenir aux fondamentaux de son cinéma enclin à la dénonciation sociale. Rembobinons…
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